Auteur/autrice : christian.esteve Page 6 of 10

Roger Couderc

Roger Couderc est né le 12 juillet 1918 à Souillac où son père dirigeait l’hôtel Bellevue. Dès l’enfance il commence le rugby au sein de « La Quercynoise », association sportive du Lycée Gambetta à Cahors où il y prépare son bac.

Il participe à de nombreux matchs, notamment contre « La violette » de Toulouse. Etudiant à l’Ecole Nationale Supérieure des Beaux Arts, il se révèle un peintre de talent : l’état lui achètera d’ailleurs une de ses œuvres, possession actuelle du musée d’Anzin (Nord).

L’art étant insuffisant pour satisfaire ses appétits, il se tourne vers le journalisme et entre à l’Agence de Presse Fournier comme stagiaire. En 1939 il est appelé au 12ème régiment d’artillerie coloniale à Agen, en compagne de l’acteur Charles Boyer. Puis il se retrouve prisonnier en Allemagne au stalag XIII A où il est chargé de reconstruire le stadium local.

Blessé au genou à la suite d’un bombardement, il est autorisé à rentrer au pays. Il va se joindre au maquis du Gers.

Il s’initie au métier de journaliste dans différents journaux : d’abord à Libre, organe des Prisonniers de guerre et déportés, dont le directeur était François Mitterrand, puis au Courrier de la Nièvre, à La Dépêche du Midi, au Midi-Olympique, à L’Auto-Journal.

Après un passage à la radio française : RTL et Europe 1, il rentre à la télévision en 1955 et il se spécialise dans le reportage sportif : rugby, catch et sport automobile. À partir de 1968, il forma avec Pierre Albaladejo un tandem de commentateurs (un journaliste et un consultant, une première).

Suite aux événements de mai 1968 en France, il fit partie de la charrette des journalistes sportifs licenciés par l’ORTF, au même titre que Roger Marcillac, Robert Chapatte et Thierry Roland. Il réintégra la structure, ainsi que les deux derniers cités, sur Antenne 2 pour faire partie de l’équipe du magazine hebdomadaire sportif Stade 2 en 1975.

Stèle Roger Courderc à Mauvezin

Via ses commentaires enthousiastes et enflammés, parfois chauvins mais toujours bon enfant, il contribua largement à populariser le rugby en France. Son « Allez les petits » pour encourager le XV de France, son chant de la Marseillaise pendant un essai français contre les All Blacks en 1979, sont restés célèbres.

Ses réparties flamboyantes lors des grands matchs de catch parisiens télévisés durant les années 1960 sont également restées dans toutes les mémoires.

Il fut nommé Chevalier de la Légion d’Honneur en 1982. Il prit sa retraite en 1983, Pierre Salviac lui succédant aux commentaires sur Antenne 2. À sa retraite internationale, le capitaine de l’équipe de France Jean-Pierre Rives lui remit son dernier maillot. Il décède le 26 janvier 1984 à Paris. Il est enterré à Mauvezin dans le Gers ; une stèle à sa mémoire y est installée.

De très nombreux stades ou complexes sportifs portent aujourd’hui son nom en France.

D’après : La Mémoire vive, Sophie Villes, Cahors, 1998 et Wikipédia

Joachim Murat, maréchal d’Empire

Joachim Murat est né à Labastide-Fortunière, (aujourd’hui Coeur de Causse et anciennement Labastide-Murat), Lot, le 25 mars 1767, fusillé à Pizzo (Calabre) le 13 octobre 1815. Il fût Maréchal de France, Prince, grand amiral de France, grand duc de Clèves et de Berg, roi de Naples.

Fils d’aubergiste, il entre au Collège royal de Cahors avec Bessières et Ambert, puis au séminaire des Lazaristes à Toulouse. Pas très passionné par l’étude de la théologie, il s’enfuit et s’engage dans l’armée en 1787.

Il devient officier en 1792 et fait partie de la garde constitutionnelle de Louis XVI. Il seconde Bonaparte lors du 13 Vendémiaire et devient son aide de camp lors de la campagne d’Italie (1796).

Nommé général pendant la campagne d’Egypte, il participe activement au 18 Brumaire et devient commandant de la garde consulaire.

En 1800, il épouse Caroline Bonaparte. Napoléon le comble d’honneurs : il est maréchal en 1804 puis prince d’Empire en 1805. Il participe aux campagnes de l’Empire en faisant preuve d’un remarquable courage physique.

Il accepte le royaume de Naples en juillet 1808 et règne – avec faste – sous le nom de Joachim Napoléon en poursuivant les réformes inspirées du Consulat entamées par son prédécesseur, Joseph Bonaparte. Rappelé par Napoléon, il participe à la campagne de Russie.

Tableau de A. Gros (Musée du Louvre)

En 1812, l’empereur, rentrant à Paris, lui laisse le commandement. Mais, après une violente dispute avec Davout, il abandonne son poste en janvier 1813 et rentre dans son royaume où il intrigue avec l’Autriche. Cela ne l’empêche pas de participer avec Napoléon à la campagne d’Allemagne de 1813.

Finalement, le Congrès de Vienne rend Naples à l’Autriche et Murat échoue à soulever les nationalistes italiens. Au moment des Cent-jours, il les incite à lutter pour leur indépendance et déclare la guerre à l’Autriche (30 mars 1815). Après Waterloo, il se réfugie en Corse et tente un débarquement en Calabre. Il y est capturé, condamné et fusillé sur ordre de Ferdinand IV, le 13 octobre 1815.

Le château de Labastide-Murat a été édifié par Joachim Murat (1767-1815). André Murat son frère fut chargé de la bonne exécution du château destiné à la famille. André Murat, frère de Joachim, fut maire de Labastide-Fortunière de 1800 à 1816 et de 1819 à 1841.

Le fils d’André, Pierre Gaétan, puis son petit-fils, Joachim, seront élus tour à tour député du Lot.

Du plus pur style Empire, le château s’élève au sud du village au centre d’un parc magnifique. Le premier plan a été dressé par Lecomte, architecte de Joachim Murat alors grand duc de Berg. Ce plan établi sur le modèle du palais de l’Élysée, résidence de Murat, gouverneur de Paris, fut modifié par la suite. Les travaux commençaient le 30 août 1807 se poursuivirent jusqu’à décembre 1814. Des aménagements se prolongèrent jusqu’en juin 1817.

Musée Murat
Place Tolentino
Labastide Murat
46240  CŒUR DE CAUSSE

Contact : Gérard Fénelon 05 65 24 97 82 / 06 71 69 50 89

Olympe de Gouges

Lorsque Robespierre et ses amis en novembre 1793 se félicitent d’avoir guillotiné une femme pour ses idées démocratiques (aucune attaque contre les personnes ni contre les biens, aucun acte de trahison ne pouvaient lui être reprochés), ils ne devinaient pas qu’ils seraient eux-mêmes bientôt raccourcis et jetés aux poubelles de l’Histoire. Que c’est leur victime, la plus belle des Quercynoises, qui serait reconnue comme la fondatrice des mouvements pour l’émancipation des femmes.

Olympe n’est pas entrée au Panthéon, mais l’auteur de l’article a déjà suggéré que son nom soit donné à l’université de Cahors, si celle-ci est un jour rétablie. L’occasion de rendre hommage à une femme exécutée le 3 novembre 1793 pour avoir, entre autres, demandé le droit de vote pour ses sœurs, lesquelles devront attendre 1945 (en France) pour ce faire.

Olympe est née en 1745 de la passion de Jean-Jacques Lefranc de Caïx pour son premier amour de jeunesse à Montauban, Anne-Olympe Mouisset, épouse Gouze. Jamais reconnue par son père naturel, Marie Gouze, veuve très jeune d’un monsieur Aubry, choisira d’être appelée Olympe de Gouges. Elle sera décapitée en 1793 par Robespierre parce qu’elle a exigé l’égalité des sexes et la démocratie. C’est le moment où son fils Pierre, qu’elle adorait, va la renier.

Depuis la division du Quercy par Napoléon en deux départements, Lot et Tarn-et-Garonne, c’est Montauban, sa ville natale, grâce au regretté Félix Castan, qui a le mieux conservé son souvenir en attribuant son nom à un lycée. Mais Olympe appartient au Quercy dans son ensemble et mérite assurément que les élus réclament qu’elle figure à l’avenir non seulement sur des timbres de la Poste, ou les euro-billets.

Jusqu’aux travaux d’une parfaite érudition d’Olivier Blanc, colorés de sympathie communicative pour le sujet de son étude, Olympe était souvent décrite, avec condescendance, comme une exaltée politique, un auteur sans grand intérêt, une illettrée suspecte de galanterie, mais dont il convenait – malgré tout – de reconnaître un coup de génie : avoir détourné la « Déclaration des Droits de l’Homme » en la faisant suivre d’une « Déclaration des Droits de la Femme et de la Citoyenne » qui a fait le tour du monde et a été au centre des célébrations du bicentenaire de la Révolution française.

Un génie en avance sur son temps

En fait, comme Louise Labbé deux siècles auparavant, Olympe est tout simplement un génie en avance sur son temps, en avance sur ses premiers commentateurs, y compris Michelet et pas seulement pour sa Déclaration. C’est une héroïne qui s’impose pour un roman, un film, une bande dessinée, un opéra, c’est un grand personnage de l’Histoire de l’humanité dans laquelle une province et un pays peuvent se reconnaître, et qui n’appartient pas seulement aux militantes féministes qui lui ont déjà rendu divers hommages mérités. On rêve de retrouver le manuscrit du roman qu’Alexandre Dumas n’a pas écrit sur Olympe de Gouges après son Olympe de Clèves.

C’est le mélange intime, sans contradictions, de sa manière de vivre son théâtre et ses convictions, de s’exprimer et de se battre, qui a été reproché à Olympe de Gouges, mais qui, aujourd’hui, impressionne le plus : il est vraisemblable qu’elle ne savait pas très bien écrire, mais elle dictait admirablement, comprenant aussi qu’il suffisait de changer quelques mots et d’ajouter un ou deux paragraphes pour que certains textes admis et admirés explosent en plein vol comme des feux d’artifice.

Amour de la liberté et liberté de l’amour

Le père d’Olympe, J.-J. Lefranc, Marquis de Pompignan, de l’Académie Française (1709-1784)

Veuve très jeune, décrite par tous comme une femme d’une beauté exceptionnelle, Olympe décide de quitter le Quercy avec son fils Pierre. Ce serait à ce moment-là, selon certains de ses admirateurs, qu’Olympe aurait fait escale à Parnac, au bord du Lot, exactement en face du château de son père à Caïx, où elle ne semble avoir jamais été admise. C’est ainsi qu’Olympe est devenue l’ombre qui hante les vieilles pierres de Régagnac.

De là, elle s’installe à Paris où elle apprendra à parler français, vivant en femme libre et libertine, c’est-à-dire en choisissant ses amants avec discernement, sans se remarier, en dépensant les ressources offertes par son principal amoureux, à publier des affiches politiques, des manifestes et des pièces de théâtre qui témoignent d’une prodigieuse anticipation démocratique : égalité des sexes, y compris dans les engagements conjugaux et les séparations, reconnaissance et égalité pour les enfants adultérins, jury populaire pour les crimes et délits, solidarité avec les plus démunis, impôts sur le revenu, libération des esclaves dans les colonies françaises, abolition de la peine de mort, etc.

Et il ne s’agit pas d’une mondaine à la Simone de Beauvoir qui aurait eu le petit talent de repérer les thèmes porteurs de l’époque pour les avilir dans la complaisante adoration des dictatures. Olympe ne récupère pas, elle ne se compromet pas, elle précède – avec un courage incontestable pour déglinguer toutes les dictatures.

Contre les sanguinocrates

Elle insulte les Comédiens-français qui refusent de se teinter le visage avec du jus de réglisse pour jouer le rôle des nègres dans sa pièce sur l’esclavage. Elle descend dans la rue pour faire face aux abrutis venus la conspuer sous ses fenêtres.

Républicaine, elle se propose comme avocat de Louis XVI parce qu’elle craint que celui du monarque, Malesherbes âgé, ne fatigue en expliquant, pertinemment, que la logique impose de garder le roi vivant, une fois la royauté déchue, car Capet guillotiné aurait fatalement un successeur dynastique et une régence dans l’émigration. On croirait entendre Cromwell expliquant à Mordaunt, dans Vingt ans après, pourquoi il eut été préférable qu’il laissa le roi Charles échapper à la hache du bourreau.

Le courage d’Olympe va s’illustrer de manière encore plus confondante et émouvante lorsque, de sa prison, à la veille d’une exécution à laquelle elle aurait pu échapper en tentant une évasion, son « Adresse au Tribunal révolutionnaire » s’en prend à Robespierre avec une éloquence et une violence rarement entendues contre les Montagnards pendant la Révolution française.

Mad Maximilien, le mollah de la religion de l’Être suprême, le plus célèbre des sanguinocrates, le pervers dissimulé dans la défense des cordonniers d’Arras, l’ancêtre de Staline et de ses purges, de Mao Tse-Tung et de ses massacres, l’inspirateur de si nombreux dictateurs, ne peut supporter des vérités assenées avec tant de fougue : Olympe est guillotinée le 13 brumaire de l’An 2 (le 3 novembre 1793) le jour de la première, à l’Académie de musique (le futur Opéra), de Miltiade à Marathon (musique de Le Moyne sur des paroles de Guillard), quelques jours après la première parisienne sur cette même scène des Noces de Figaro de Mozart.

Le bicentenaire de la Révolution française ne pouvait guère glorifier la guillotine qui décapita en France près de 20 000 personnes en quelques mois, celle-là même qui trancha le cou de Mme Roland et d’Olympe de Gouges. Avec ses bois peints en rouge, elle ne semble pas avoir été époussetée pour l’occasion, ni dressée pour la commémoration.

Le château de Parnac, où Olympe trouva, dit-on abri lorsque la porte de celui de Caïx, restait fermée

Elle est restée piteusement rangée dans les réserves de la Conciergerie et inscrite sur l’inventaire du ministère de la Justice.

Mais elle en sortira sans doute pour les films en préparation sur Olympe, de Montauban à Parnac, puis du Quercy à l’échafaud de la Place de la Révolution (désormais Place de la Concorde), pour exalter le souvenir de la belle Quercynoise et lui faire retrouver la position qui lui revient.

René Viénet : rene.vienet@free.fr

L’article de René Viénet a été publié en français le 3 novembre 2001 à Cahors .

Rarement l’histoire nous propose des figures aussi intellectuellement stimulantes que celle d’Olympe de Gouges. Pourtant, deux siècles ont été nécessaires pour que l’on distingue enfin cette femme extraordinaire, qui, en son temps, avait fait siennes les valeurs qui fondent notre pacte républicain.

De 1789 à 1793, année de sa fin tragique, elle a régulièrement adressé de nombreuses lettres et autant d’imprimés (pièces de théâtre, affiches et brochures) aux assemblées élues. La plupart de ces documents forment la chronique ininterrompue d’une prise de parole audacieuse et si révolutionnaire, celle d’une femme libre à une époque où les femmes n’étaient ni électrices ni éligibles.

Les combats humanistes d’Olympe de Gouges, incomprise ou longtemps marginalisée pour de mauvaises raisons liées à son sexe ou à ses opinions politiques girondines, nous touchent aujourd’hui. Elle passe à juste titre pour l’ancêtre du féminisme moderne. Sa Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne (1791), texte fondateur, constitue aujourd’hui un repère pour tous ceux qui, dans le monde, luttent contre les maltraitances et les discriminations visant les femmes.

Plus que tout autre, Olympe de Gouges a fait la promotion continue des droits civils et politiques au féminin, que ce soit dans ses brochures politiques ou dans son théâtre engagé. Dans une de ses pièces, elle stigmatise la prise de voile forcée des jeunes filles sans dot, usage fréquent dans la France d’Ancien régime ; dans une autre, elle revendique une loi sur le divorce si nécessaire, selon elle, pour permettre aux femmes maltraitées d’échapper à leur bourreau domestique ; dans son roman Le prince philosophe, elle insiste sur l’importance de l’éducation des femmes.

Olympe de Gouges ne s’est pas contentée de restreindre sa parole à la sphère privée, aux salons philosophiques ou libéraux qu’elle fréquentait, que ce soit chez Mmes Helvétius ou Condorcet, mais elle s’est s’est directement impliquée dans le grand débat public de 1789.

Dans la Lettre au Peuple ou dans ses Remarques patriotiques, elle inaugura cette « carrière épineuse où, disait-elle, tant d’hommes ont trébuché ». Par des apparitions remarquées dans les assemblées élues, dans les sections et les clubs, elle s’exprimait avec chaleur, initiant une garde nationale de femmes (juin 1791) ou soutenant des manifestations publiques ou défilés de femmes, autant de projets qu’elle cherchait à faire valider par l’Assemblée nationale.

Elle entendait ainsi donner visibilité, consistance et respectabilité à l’engagement politique au féminin. Sentant monter les périls, Olympe de Gouges a diffusé des écrits courageux dans le souci de favoriser l’union et la réconciliation nationale à l’heure de « la patrie en danger ». Et elle s’est élevée contre les factions « désorganisatrices » et la violence.

Après le 10 août 1792, qui marque la fin de la monarchie, elle a dénoncé les massacres de septembre par cette phrase sublime : « le sang même des coupables, versé avec cruauté et profusion souille éternellement la révolution et d’un système de gouvernement on passe dans un autre ».

Elle s’éleva contre les dangers de la dictature montagnarde ciblant Robespierre et Marat qu’elle soupçonnait de prétendre au « dictatoriat ».

Dans une lettre du 9 juin 1793 à la Convention, elle dénonça le coup d’état contre‑révolutionnaire dirigé contre les députés girondins – plus de 150 députés furent en effet arrêtés le jour même ou les semaines suivantes -, et elle mit en cause la légitimité du gouvernement et de l’Assemblée soi-disant épurée mais désormais sous influence.

Dans une affiche en date du 20 juillet 1793 elle proposait de s’en remettre au peuple réuni en assemblées primaires pour se prononcer sur la forme du gouvernement souhaité par les Français. Cet acte de résistance contre l’oppression lui valut d’être arrêtée par les amis de Robespierre dont plusieurs étaient membres du jury qui la condamna à mort le 2 novembre 1793.

Olympe de Gouges fut avant tout une humaniste, une philanthrope et, à sa manière si originale et sincère, une philosophe des Lumières. Elle a été l’avocate de toutes les grandes causes de son temps, que ce soit celle des exclus de la société civile et politique ou celle des esclaves noirs des colonies françaises, ainsi qu’elle le rappelle dans sa dernière affiche en forme de testament (Une patriote persécutée, 1793).

Elle y faisait notamment un rapprochement entre l’arbitraire de sa situation, au pied de l’échafaud, et l’emprisonnement par lettre de cachet qui l’avait menacée lorsqu’elle avait inauguré, en 1785, le premier débat national sur la suppression de l’esclavage dans les colonies. Olympe de Gouges a toute sa place dans la mémoire collective.

Olivier BLANC
Historien

 

Le 19 octobre 2016, un buste d’Olympe de Gouges a été installé dans la salle des Quatre-Colonnes du palais Bourbon, siège de l’Assemblée nationale. C’est la première représentation d’une femme politique parmi les œuvres d’art présentées dans l’édifice.

Léon Bouzerand ; le Doisneau de Cahors

Léon Bouzerand est né en 1907 à Cahors où puisaient ses racines familiales très anciennes et où il est mort le 18 novembre 1972. Après ses études au Lycée Gambetta à Cahors puis au Lycée Pierre de Fermat à Toulouse, jusqu’au baccalauréat de philosophie, Léon Bouzerand est allé étudier la photographie à Paris.

Il a été élève de la promotion de 1932 de l’Ecole nationale de photographie de la rue de Vaugirard, (devenue aujourd’hui École nationale supérieure Louis Lumière, ENSLL.) Il a ouvert ensuite, le 13 février 1934, rue Foch, à Cahors, un studio, un atelier et un magasin de photographie. Tout au long de sa vie, Léon Bouzerand a été un fervent sportif, mais aussi un homme de culture, latiniste, germaniste, brillant joueur d’échecs.

100 000 images : Toujours armé de ses appareils, Leica, Rollei, …, il a notamment réalisé au long de sa carrière, plus de 100 000 images illustrant la vie quotidienne dans le Lot et la France des années 1930 aux années 1970. Il a également collaboré au quotidien Sud-Ouest.

Certaines de ses photographies empreintes de tendresse, d’humour ou reflets d’un art de vivre aujourd’hui disparu, ont été reprises dans des livres publiés.

Le premier de ces ouvrages, paru en 1991, Vitesse limitée, est consacré à l’automobile sous toutes ses facettes dans le Cahors des années 50 aux années 70;

le deuxième, publié en 1992, Couleur rugby, concerne le rugby sur les stades et ses supporters dans les mêmes années.

Un troisième volume, est paru en mai 2010, Cahors en devantures, et retrace la vie de la cité à travers les activités commerciales et les espaces de commerce. Ces trois livres ont été édités par l’ « Association Vitesse limitée » présidée par Jean-Louis Marre, avec le soutien de Jean-Louis Nespoulous, photographe et successeur de Léon Bouzerand qui a eu à cœur de faire renaître une œuvre photographique riche et savoureuse et celui du journaliste Christian Cazard.

D’autres ouvrages sur son œuvre sont envisagés ainsi qu’une présentation de ses photographies au Musée Henri Martin à Cahors.

   

De Jean-Louis Nespoulous (extrait du volume Vitesse limitée, Cahors, 1950-1965 )  : 

« En rangs serrés dans leurs boîtes jaunes, dormaient 100 000 portes ouvertes sur Cahors. Cahors qui va au bal, au marché, aux boules, la Dauphine devant le Tivoli et le Grand Charles sur le parvis de la Mairie. La braderie ronronne au centre, Édith Piaf fait chavirer la succursale Citroën. Et toujours l’ombre de Toto sur la ville.

Communion le matin. Vêpres en ovalie. Fêtards du soir. Vitrines de nuit. Ces vedettes qui passent. Des boules de neige jusqu’au bac, ce quotidien cyclique, que l’on pensait immuable et qui glisse imperceptiblement vers le journal télévisé.

Et toujours ces images carrées, au Rollei ou au Sem. Pudeur du cadrage. Chaleur de la lumière. Générosité de la visée. Regard et clin d’œil. Qui donc a dit qu’elles étaient fixées à jamais ces humbles pellicules de vie ? Regardez bien. Cherchez le détail. Elles frémissent encore. 1950/1970 – 20 ans- 100 000 clichés d’une exceptionnelle qualité et diversité, à travers lesquels on lit le professionnalisme d’un œil et la grandeur d’un cœur, ceux de « Toto » Bouzerand. »

De Jacques Bouzerand (extrait du volume Vitesse limitée, Cahors, 1950-1965 ) :

« Léon, que tout le monde appelle Toto, a 7 ans lorsque son père meurt. Il fréquente le Lycée Gambetta où, excellent en allemand et en latin, il passe son premier bachot.

Grand, costaud, chevelure brune, d’épaisses lunettes, élégant, l’air sérieux, c’est un sportif. Il pratique avec bonheur l’athlétisme, la course, le javelot, le saut en hauteur, à « l’Aviron cadurcien », et le tennis au terrain de jeu du Parc Tassart.

Mais il a horreur de l’eau et l’on ne le verra jamais nager à « Marianne », dans le Lot, derrière le stade, lieu de baignade traditionnel des jeunes cadurciens de l’époque.

C’est à Toulouse au Lycée Fermat, qu’il passe son bac philo, une matière qui le passionnera toujours. En 1928 un terrible accident sur la moto qu’il pilotait près de Mercuès le cloue au lit pour plusieurs mois. Rétabli, il « monte » à Paris en 1930, et entre à l’école de photographie… »

Extrait de : http://fr.wikipedia.org/wiki/Léon_Bouzerand et textes de Jacques Bouzerand

Photos : http://www.luminous-lint.com/app/photographer/Leon__Bouzerand/C/ 

Taxi Erasme à Cahors ; en attendant le client… – 1950

Le Doisneau de Cahors par Michel Desmoulin, Extrait de :
http://desmoulin.net/index.php?2005/11/26/16-le-doisneau-de-cahors

Comme Doisneau – ils avaient le même âge – Léon Bouzerand a photographié la rue, avec talent, humour et un goût prononcé pour l’anecdote.

A Cahors, où il a passé toute sa vie en dehors de son séjour à la célèbre école de photographie de la rue de Vaugirard, qui a formé tant de grands photographes, tout le monde l’appelle Toto.

Muni de son Rolleiflex, il a, pendant près de quarante ans, saisi des scènes de la vie quotidienne dans cette merveilleuse petite préfecture du Quercy.

Ces clichés, si on laisse aller son imagination, restituent, avec beaucoup de poésie et de tendresse, l’histoire de cette ville attachante.

Les boutiques ont changé, les immeubles, les métiers aussi ; son œuvre, des milliers de photos, constitue la mémoire de cette ville au siècle dernier.

Les « anciens » ne se lassent pas de regarder ces photos avec nostalgie. Les touristes et les habitants de fraîche date découvrent avec intérêt – parfois même avec passion – ce petit coin de la douce France au temps de la quatrième République…

Léon Bouzerand, moins connu que Doisneau, – Cahors n’est pas Paris – a laissé, après son décès, le 18 novembre 1972, une œuvre qui mériterait d’être mieux connue et surtout reconnue.

Léon Bouzerand Autoportrait

Au stade. Match de rugby contre Lourdes !

Concentration lors d’une partie de cartes – 1950

Cahors, la place du marché

Suzanne Bouzerand devant le magasin de la rue Foch – 1960

Traditions

► France 3 Occitanie : Viure al País (dimanche 24 février 2019)
► BIAIS N°47 : LO FEC : https://youtu.be/JaVpaRK55ag
► https://france3-regions.blog.francetvinfo.fr/le-blog-de-viure-al-pais-france3/2019/02/26/biais-lo-fec.html
► Sous-titres: Syndicat d’Initiative Quercy Pays de Serres

Oh My Lot Sincérité Authenticité

OH MY LOT !

C’est la marque de territoire du Lot. C’est l’expression de la fierté et du lien affectif que les habitants entretiennent avec leur territoire. C’est le moyen d’actualiser la perception du Lot, de proclamer que l’on y vit bien.

C’est l’affirmation d’une identité et d’une personnalité propre. C’est le vecteur de valeurs collectives : le partage, la convivialité, l’hédonisme, l’équilibre, la simplicité et la sérénité.

C’est une bannière pour tous les partenaires qui s’inscrivent dans la démarche d’attractivité du Lot : le Département, la préfecture, les communautés de communes, la chambre de commerce et d’industrie, la chambre d’agriculture, la chambre de métiers et de l’artisanat, Lot tourisme, des entreprises, des associations, les habitants et tous ceux qui aiment le Lot.

Fabien Galthié Lotois de coeur

Vallée du Célé

Le coin de paradis des pêcheurs

Gâteau de citrouille : le Milhas

Recette proposée par Michel Delfour

Une spécialité du Quercy, le milhas ou gâteau de citrouille, fait avec la recette de ma mère qui la tenait de sa grand mère. Un vrai régal !

Pour 1 kg de citrouille cuite à l’eau et écrasée à la fourchette,

250 grs de farine,

250 grs de sucre,

4 oeufs battus,

2 verres de lait (1/2 litres) mélanger le tout,

mettre dans un plat à four et 1 h au four à 180. Ne pas trop remplir le plat car ça monte à la cuisson.

Si vous aimez vous pouvez rajouter dedans des pruneaux. Bon appétit !

NB : Comme le milhas vient de milh qui signifie maïs en occitan, on peut penser que la recette originale se réalise avec de la farine de maïs !

Vous aussi devenez Ambassadeur du Lot

Ici, on est bien ! Ici, on vit bien ! #ohmylot Ça se passe comme ça dans le Lot ! ?

Vous aussi, devenez ambassadeur du Lot !

L’igue de Crégols

De Thibaut Brix

Cliquez sur la X en bas à droite pour lire en plein écran 

Les puits du causse

par Bernard Davidou

Nos anciens, qui étaient plus nombreux que nous sur les causses calcaires de notre Quercy, utilisaient moins d’eau. Dans chaque vieille maison ils nous ont laissé au moins une citerne où elle était précieusement collectée pendant les saisons pluvieuses en prévision de l’été.

Ils n’imaginaient pas qu’un jour leurs descendants connaîtraient ce réseau maillé de canalisations qui, de châteaux d’eau en villages ou écarts irrigue nos éviers et baignoires et même nos potagers. Aussi, quand ils le pouvaient, ils faisaient creuser un puits.

C’était un investissement important et, le Crédit Agricole et ses prêts bonifiés n’ayant pas encore été inventés, la décision se mûrissait calmement sur plusieurs années ou même générations. Lorsqu’elle avait été prise et que les années précédentes avaient permis d’économiser l’argent nécessaire, on faisait appel à un puisatier.

Quand nous étions petits, ma sœur et moi étions sujets à toutes les maladies habituelles des enfants. Rougeole, oreillons, varicelle etc, rien ne nous échappa et je m’en réjouis aujourd’hui car Maman, pour nous faire accepter notre sort, la visite du médecin et ses instruments de torture (un saint homme qui venait de Catus (1)), avait l’habitude de nous raconter une histoire.

Elle avait été élevée par sa grand-mère de qui elle disait les tenir. C’est ainsi qu’après un diagnostic confirmé elle me raconta celle qui suit.

En ces temps là, des hommes circulaient de maison en maison, des artisans avec leurs outils (rempailleurs de chaises, rétameurs, matelassiers, tisserands …) proposant leurs savoir-faire, des colporteurs leurs marchandises (fils, almanach, draps …), des brassiers cherchant de l’embauche.

C’est vraisemblablement ainsi que le maître de la grande maison dont les bâtiments longent la route à Bouydou a confié le creusement de son puits à un puisatier sourcier de passage. L’époque nous est inconnue. Le nom de l’ouvrier ainsi que celui du maître (2) aussi.

Le puisatier convint avec le maître qu’il serait seulement logé (dans la paille de la grange) et nourri pendant la durée des travaux. Le paiement de la somme décidée ne se ferait que lorsque le puits serait plein. Le chantier débuta en début de période sèche et, jour après jour, dimanche excepté, on entendait l’homme taper en chantant au fond du trou qu’il creusait au bout de la cour, à côté du chemin du mas delleu, là où la fourche de coudrier lui avait indiqué l’eau souterraine.

Centimètre après centimètre, il arrachait au bout de sa pioche, les couches géologiques déposées, cassées, plissées au cours des millions d’années qui ont fait l’histoire géologique de notre coin de Quercy. A vrai dire, ses préoccupations et ses pensées devait être très différentes et n’étaient pas si savantes. Levant les yeux vers l’orifice, il guettait la venue de la servante qui, (à l’aide de la corde et la poulie qui permettait à l’apprenti qu’il formait de remonter les « ferrats (3) » de gravats) lui faisait parvenir la bouteille de piquette dont il se désaltérait.

Jour après jour, l’été avançait et se faisait de plus en plus chaud. A la fin de sa longue journée passée dans la poussière et la chaleur qui rendaient la respiration difficile, l’homme mesurait sa progression. Il scrutait avec une angoisse grandissante la roche sèche sous ses pieds, essayant d’y déceler les signes précurseurs du filet d’eau qui lui permettrait d’obtenir son dû et assurerait son hiver.

Il creusa jusqu’à vingt mètres sans trouver d’eau. Découragé, doutant de son fluide(4), il abandonna et partit un soir. Après la longue sécheresse de l’été, un violent orage déferla sur le causse au cours de l’une des nuits qui suivirent son départ. Les eaux recueillies par la cuvette naturelle du plateau de Bouydou gonflèrent la nappe souterraine que le sourcier avait repérée et à côté de laquelle il avait creusé.

Sous sa pression, l’eau envahit le puits. Heureux d’avoir enfin l’eau dans sa basse cour, le maître qui était honnête, fit rechercher le sourcier dans les fêtes et foires des environs mais ne le retrouva pas.

Voilà l’histoire d’un puits creusé par un homme qui n’eut pas son salaire. Depuis il a désaltéré des générations d’hommes et d’animaux sans jamais tarir. Pendant la dernière guerre, ou peu avant, un avion militaire s’est écrasé sur le plateau, Le carburant qui s’en est échappé a pollué la nappe et l’utilisation du puits a du être interrompue quelques semaines.

C’est à ma connaissance la seule fois ou il a failli, bien malgré lui, à sa vocation. Certains prétendent qu’il a recueilli les cloches de Calamane lorsque la république voulait en récupérer le bronze (5).

Lorsque j’en parlais à mon ami Daniel, il me raconta qu’il ne savait rien à ce sujet. Par contre, un jour un de ses prédécesseurs propriétaire (6) de la ferme, avait décidé de le curer. Ayant fini de le vider vers midi, il partit faire chabrot. Lorsqu’il revint pour le nettoyer, après la sieste, le puits était à nouveau plein.

(1) Dr FABRE originaire de Labastide Murat.

(2) Maison de Daniel COMBARIEU en 1981, RESSEJAC / COMBARIEU en 2003.

(3) Un « ferrat » est un seau. Fait en planches jointive comme un tonneau et cerclé de fer.

(4) Avoir du fluide est un don qui permet de trouver l’eau ou des objets cachés.

(5) En 1794. C’est certainement faux mais la légende attribue une cloche à chaque puits.

(6) Famille LACOMBE ?

Bernard DAVIDOU

octobre 1981

Le Noël du petit roumain

Personne ne peut rester insensible à la vue de la misère. Il y a dans chaque être humain une tendance naturelle à la solidarité qui nous différencie des animaux. Néanmoins elle existe encore et s’amplifie avec la crise que connaît notre monde globalisé, depuis la fin des trente glorieuses.

Certains avancent des solutions économiques, d’autres proposent des programmes politiques, …

 » Mouna « , célèbre clochard lettré et farfelu du quartier Saint-Germain en 1968 proposait l’extinction du paupérisme après dix-huit heures chaque soir. Avec le projet de prolonger le boulevard saint-Michel jusqu’à Deauville, il avait constitué un programme électoral ambitieux mais sa carrière politique se termina peu après les événements de cette année-là. Dans les grandes villes elle est parfois spectacle.

J’ai vécu les cinq dernières années du siècle précédent à Paris ou je travaillais et je rejoignais ma famille dans le sud-ouest toutes les fins de semaine.

Je me souviens de ce vendredi soir, dans le métro qui me ramenait vers Orly, un homme s’est mis à parler au milieu du wagon. Il dit qu’il était sorti depuis peu de prison, après une horrible erreur judiciaire. Il avait contracté le sida et avait faim. Il suppliait les voyageurs de lui donner un peu d’argent, à défaut il accepterait un sandwich, un ticket restaurant ou bien un fruit. Intrigué par cette franchise, je regardais l’effet qu’elle produisait sur les voyageurs. Quelques rares vielles femmes lui glissèrent une pièce. Certains, qui voulaient ignorer l’homme, détournaient leur regard avec gêne. Les autres regardaient à travers lui, comme s’il était transparent.

N’ayant pas eu le temps d’en retirer je n’avais pas d’argent sur moi. Comme tous les vendredi, j’avais déjeuné très vite afin de finir ma semaine au plus tôt et avais gardé une pomme qui grossissait la poche de mon manteau. Je la lui tendis et il me remercia fort civilement. Quelques stations plus loin, je le revis qui sortait du wagon: Il avait encore ma pomme à la main et la laissa tomber avec dédain entre le marchepied du train et le quai.

En courant pour  » attraper  » la rame d’ « 0rly-Val », je me promis de faire preuve, à l’avenir, de plus de discernement dans mes futurs élans de générosité.

Après avoir réfléchi à cette question, je résolus de la régler définitivement en choisissant, sur mes trajets les plus fréquents dans la capitale, quelques mendiants auxquels je donnerai mon obole chaque semaine.

Il m’attendait sous un feu rouge, dans le quartier du  » point du jour « , dans l’ouest de Paris, que je traversais chaque fois que je revenais de  » la défense  » ou est située la plus grande concentration de sièges sociaux de sociétés du pays et mon bureau de la rue de Lyon.

Alors que je ralentissais pour respecter le feu tricolore avant de prendre la voie sur berge, je fus surpris par une silhouette qui me rappelait mon fils cadet. M’étant arrêté à sa hauteur, je me réveillais de ma rêverie face à un gamin au corps d’adolescent, surmonté d’une tête d’adulte qui me tendait la main en répétant plusieurs fois la même supplique:

– S’il te plait Monsieur, une pièce … pour manger. … S’il te plait Monsieur ….

Après avoir satisfait sa demande avec une pièce de dix francs, je le regardais avec attention. Je reconnus une allure quand il se déplaçait d’un véhicule à l’autre, une attitude quand il était immobile, main tendue, penché vers la portière d’un véhicule, qui avaient attiré mon attention en arrivant à sa hauteur.

J’avais lu en prenant mon café que plusieurs bandes organisées d’enfants roumains avaient envahi les trottoirs de la capitale pour y mendier. Ces équipes étaient encadrées, disait le journaliste du  » Parisien Libéré « , par des adultes provenant du même village que les enfants, qui leur apprenaient les trois mots nécessaires au travail attendu et qui les plaçaient aux endroits ou les voitures ralentissent.

Parce qu’il était brun avec des cheveux noirs et qu’il roulait les  » r  » j’en déduis qu’il en faisait partie.
Je décidais sur le champ de l’ajouter à mes pauvres. Dorénavant je m’arrêtais au moins une fois chaque semaine à sa hauteur et inlassablement il me répétait la même supplique :

– S’il te plait Monsieur, une pièce … pour manger. … S’il te plait Monsieur …

J’essayais, quand la durée du feu le permettait, une banalité à propos du temps ou des fêtes qui approchaient … Sans un sourire, comme s’il ne me voyait pas et pressé de passer à la voiture suivante, il attendait ma pièce jaune à laquelle il répondait par un bref  » M..errr.. ci « .

Une fois pourtant je réussis à le faire sourire en lui disant  » Business is business ! »(1). Il connaissait un peu d’anglais et répondit :

– As usual, Sir ! No more ! (2).

Nous avions chacun nos préoccupations et notre stress. Un soir, il me rendit la pièce de vingt centimes que, voulant aller vite et bien involontairement, je lui avais donné à la place de celle de dix francs dont il avait l’habitude. Il protestait :

– Trompé, pas bon, pas bon … Monsieur,

Ceux qui ont connu ces pièces, me trouveront des circonstances atténuantes car, de même couleur jaune et même diamètre, elles ne différaient que par le poids … et la valeur. Je réparais volontiers très vite mon erreur et lui laissais, grand seigneur, les deux pièces. Le feu était vert déjà et je démarrais dans un concert de klaxons impatients. Les parisiens au volant sont comme cela. La seconde fois que je commis la même erreur, je me dis que les vacances de Noël qui approchaient me feraient le plus grand bien.

La troisième fois je commençais à me demander si mon petit Roumain ne me prenait pas pour un cave et me promis de suivre attentivement ses gestes à l’avenir. Je le suspectais de subtiliser la pièce de dix francs et faire apparaître une pièce de vingt centimes que son client devait lui rendre dans un élan supplémentaire de générosité, après avoir réparé l’erreur.

Lors de mes prochains passages, le cérémonial se déroula invariable. Le gamin, dont je fixais les doigts avec attention comprit-il ma résolution de le confondre, ou bien était-il de bonne foi et avais-je, par distraction, confondu les pièces ? Après l’avoir contrôlée, il enfouissait sa pièce de dix francs dans la poche de son maigre blouson sale et courait à la voiture suivante.

Je le revis plusieurs fois, dans le froid, parfois sous la pluie, sans que notre communication s’améliore ou que je refasse l’erreur qui m’avait conduit à le suspecter de cette amusante substitution.

Les vacances de Noël tant attendues et nécessaires arrivèrent enfin. En approchant du feu je ralentis pour attendre qu’il devienne rouge, me donnant ainsi le temps de lui donner mon obole. Arrivé à sa hauteur je lui souhaitais un bon Noël mais son visage resta lisse et inexpressif alors qu’il répétait comme d’habitude la formule apprise par cœur :

– S’il te plait Monsieur, une pièce … pour manger. … S’il te plait Monsieur …

C’était Noël, je partais en vacances et donc je ne le reverrai pas la semaine suivante, je pris deux fois dix francs dans le vide poche ouvert entre le tableau de bord et le levier de vitesse de la Mégane-Scénic que la société qui m’employait avait mise à ma disposition et les lui tendis.

Il avait suivi mes gestes avec attention et je l’avais vu regarder la monnaie dans le vide-poche avec envie. Il contempla mon aumône un petit moment. Comme le feu virait au vert, il parut glisser légèrement alors que j’enclenchais la première et son coude heurta la montant de ma portière … laissant échapper dans ma voiture les deux pièces de dix francs que je venais de lui remettre.

– Tombé, Monsieur, … donne une autre, … vite ….

Il me montrait sa main ouverte et vide en fermant et ouvrant les doigts pour en rétablir la circulation sanguine. Les parisiens derrière nous menaient un raffut assourdissant et des injures diverses commençaient à fleurir de tous les côtés. Je remis à plus tard de rechercher mes vingt francs sur le tapis de la voiture, attrapais une poignée de monnaie comprenant deux autres pièces de dix francs et les lui tendis en démarrant. Je vis dans mon rétroviseur le magnifique sourire qui éclaira enfin son visage alors qu’il soupesait le contenu de sa paume.

C’était Noël.

– Merry Christmas Sir ! (3)

Dit-il alors que je m’éloignais.

Lorsque, après les vacances de fin d’année j’eus regagné la capitale en début janvier, j’entrepris de nettoyer l’intérieur de ma voiture. J’avais un peu oublié mon petit roumain mais je pensais immédiatement à lui lorsque, en passant l’aspirateur, je retrouvais, sous le tapis de sol, côté conducteur,

…… deux pièces de vingt centimes luisantes comme si elles étaient neuves.

Bernard DAVIDOU Noël 2005

(1) Les affaires sont les affaires.
(2) Comme d’habitude, Monsieur. Pas plus.
(3) Joyeux Noël, Monsieur.

Les champignons de Léon le « Tamalou »

Un enfant du village ?

Marc, le fils de l’Antoinette, était, selon l’expression usuelle  » du village  » et personne ne lui contestait cette appartenance. Né après la guerre, ses parents l’avaient envoyé contre son gré faire des études à Toulouse. Il était devenu un citadin qui vivait toute la semaine dans cette ville ou il exerçait un métier d’ingénieur correctement payé. Adulte il reconnaissait leur mérite car, par leur fermeté mais aussi leur sacrifice, ils lui avaient permis d’accéder à ce statut.

Il avait conservé cependant un profond attachement à la terre et à son village dont il avait été frustré durant sa jeunesse. Pour ces raisons et aussi par égard pour ses parents devenus vieux, il y avait restauré, dés les débuts de sa vie professionnelle, une maison qu’il rejoignait avec sa famille toutes les fins de semaine. Néanmoins, ses voisins au village, tout en lui gardant amitié et parfois un peu d’envie pour sa relative réussite, manifestaient une certaine distance. Il était devenu un autre et elle se traduisait par des détails de comportement comme le fait de refuser de parler patois avec lui ou d’éviter en sa présence certains sujets qui concernaient la vie de la communauté.

Les champignons sont sortis.

Depuis quelques jours les premiers champignons avaient fait leur apparition au marché de Cahors. Dans les villages de Boissières, Calamane, Nuzéjouls, Uzech et alentours le bruit courait, en ce début juin, les amis ne se saluaient plus que par  » ils sont sortis, irez-vous ? « .

Le père Léon, comme tous les ans, avait anticipé la rumeur et commencé une abondante cueillette dés le mercredi matin, premier jour de la vieille lune. Aussi en ce samedi décida-t-il d’aller à nouveau parcourir les bois de châtaigniers, avec sa canne et son panier mais sans conviction. Agriculteur-retraité depuis peu il était libre de son temps.

Il aimait marcher en prenant le temps de retrouver les champs, les bois ou les prés quelle que soit la saison. En fait, il aimait la terre, sa terre et s’émerveillait de ses différentes transformations d’une saison à l’autre ou au cours des années. Quand il était plus jeune, il aimait la fouler pieds nus ou s’y étendre pour la sieste l’été, ce qui désespérait sa femme qui redoutait un refroidissement.

Tout en marchant il évoqua un moment son souvenir, la seule grande aventure de sa vie: Il regretta de s’être décidé à lui  » parler  » alors qu’ils étaient déjà trop vieux pour avoir des enfants. Lors de sa disparition brutale, elle l’avait laissé seul avec un chat commun auquel il n’avait jamais fait attention de son vivant. Il s’y était attaché depuis comme un rescapé s’accroche à un objet qui lui rappelle une catastrophe, un désastre.

Depuis son veuvage, il y a quelques années, ces pensées lui revenaient souvent et il les chassait avec un mouvement d’humeur que trahissait une ombre fugitive passant sur son visage.

Léon rencontre Marc.

Il avançait dans le bois sans chercher, écoutant et respirant pour le plaisir. Au-dessus de sa tête, un chêne, couché par la dernière tempête, étreignait son voisin et le vent qui agitait les cimes le faisait gémir d’une plainte presque humaine. Attentif à ne rien déranger au sol des herbes ou des ronces, il évitait de marcher sur la terre meuble ou fraîche, là où les taupes viennent respirer par exemple, afin que rien ne trahisse son passage et sa destination vers ses  » coins « . Il était jaloux de ceux-ci et s’immobilisait chaque fois qu’il voyait venir vers lui un autre cueilleur, le laissant passer en se dissimulant derrière un arbre. La première fois qu’il vit Marc, la colère l’envahit une fois de plus contre ces étrangers qui n’ont aucun droit de cueillette et ne respectent pas la propriété privée.

Il l’observa un moment cherchant à le reconnaître sans y parvenir. Visiblement le jeune homme ne connaissait rien aux champignons et comme, de mémoire d’homme, au village, on n’avait jamais rien trouvé là où il cherchait, il le jugea inoffensif. Calmé, il l’observa avec amusement et le vit fouiller sous les fougères qu’il écartait avec précaution du bout de son bâton. Son sourire condescendant se figea lorsqu’il le vit se baisser et ramasser ce qui lui parût être un petit cèpe brun et luisant au chapeau rond et frais.

Ne pouvant résister à la curiosité, il s’approcha sans précaution, faisant semblant de chercher lui aussi. Arrivé à proximité il le salua en cherchant à voir le contenu de son panier. Dans celui-ci il reconnut une petite bouteille de bière vide et maculée de la terre fraîche d’où Marc l’avait extraite.  » C’est là toute votre récolte ?  » s’enquit-il mi-amusé mi-narquois. Le jeune homme reconnut effectivement que c’était bien là tout ce qu’il avait trouvé mais que ce faisant, il voulait contribuer à l’écologie de la planète. En le félicitant Léon se dit que tant que les girolles ou les cèpes ne clignoteraient pas comme l’ambulance, cet écologiste ne ferait pas de mal à ses champignons. Soudain à force de le dévisager, il sût qui il était tant les traits du jeune homme lui rappelaient Antoinette.

Léon commence à délirer « grave ».

L’été qui suivit passa sans que Léon rencontre Marc au village. Ce dernier avait profité de ses congés dans un de ces lieux ou les citadins ont l’habitude de se retrouver et s’entasser. Depuis cette première rencontre, les pensées de Léon revenaient souvent vers sa jeunesse, la bande de copains des années soixante, il évoquait avec plaisir Antoinette qu’il avait courtisé un été, les autres dont la vie avait dispersé la plupart. Il aimait retrouver dans son souvenir leurs visages. A l’occasion des rencontres au village ou à Cahors, il cherchait à savoir ce qu’ils étaient devenus, s’ils avaient des enfants.

Les cèpes d’automne ramenèrent Léon à ses promenades sylvestres. Il retrouvait les arbres, les odeurs et en jouissait comme s’ils étaient sa propriété exclusive. Il avançait, remuant ses souvenirs lentement, prenant plaisir à les revivre intensément, dans tous les détails, comme un scénariste fait quand il veut réaliser un film. C’est brutalement qu’un matin l’idée s’imposa à lui comme une certitude. Il se mit fébrilement à compter les années depuis cet été ou il avait tellement dansé avec Antoinette que tout le village s’attendait à les marier.

Il fouilla dans sa mémoire le visage de Marc se demandant comment reconnaître son age dans ce souvenir. Il regrettait de l’avoir considéré avec distance et de s’être moqué, de lui avoir fait de la peine peut-être. Il éprouva le besoin de le rencontrer à nouveau. Constamment ses pensées revenaient vers celui qu’il n’appelait plus que  » le petit  » avec une tendresse quasi paternelle.

Tout dans le présent était prétexte à exhumer un souvenir en essayant de refaire l’histoire de sa vie qui tournait en boucle dans sa pauvre tête d’homme seul face à la vieillesse : Le train de Paris qui, après le viaduc de Calamane, s’engouffrait dans le tunnel de Nuzéjouls, dont il attendait auparavant avec amusement le long sanglot étouffé d’agonie, lui rappelait à présent son départ pour Marseille vers l’Algérie et les adieux d’Antoinette sur le quai de Cahors. Le cri de victoire, qu’il poussait en débouchant sur la vallée de Saint-Denis, le ramenait au présent jusqu’à ce qu’un nouveau détail ne le replonge dans un passé qu’il s’efforçait de retrouver et à partir duquel il recommençait à délirer..

La folie du vieux, le souvenir de sa femme.

Il errait dans les bois toute la journée et au village certains commençaient à se poser des questions sur sa santé mentale. Rentré chez lui il soignait le chat sans le voir et la bête, qui souffrait de cette indifférence injuste, dépérissait.

Un soir, il pensa aux rares photos de cette époque. Il se mit à les rechercher dans le tiroir de l’armoire que sa femme avait réservée à cet usage et ou il n’avait jamais fouillé de son vivant. Il reconnut son goût de l’ordre en découvrant une série d’enveloppes dont chacune contenait une tranche des souvenirs du couple, et sur lesquelles l’écriture calligraphiée de son épouse indiquait l’époque ou l’événement dont le contenu était l’objet.

Au-dessus, trop grande pour entrer dans une enveloppe ou trop chargée d’émotion pour celle qui avait ordonné le contenu du tiroir, était la photo de leur mariage. Jusqu’à ce jour il n’avait jamais pris le temps de regarder longtemps ce qu’il considérait comme des images. Il l’ouvrit et pour la première fois la considéra avec attention, fouillant dans les visages et les attitudes afin de ressusciter les pensées et les sentiments cachés. Il se trouva un air inexpressif et convenu. Sa femme éclatait de joie et de bonheur. L’évocation du souvenir de la disparue lui fit retrouver son odeur et un moment il crut la voir qui se frottait à lui en riant.

Enjambant le cadre de la photo, il revit cette journée et laissa vagabonder son imagination, selon son habitude depuis qu’il était inactif. Il reconnut le gazon sur lequel le couple avait posé pour la photo et sa ferme en arrière plan. Il imagina le petit grandissant dans sa maison, entre la tendresse de sa femme et la sienne, moins démonstrative mais aussi attentive. Dans son délire il inventait des pseudos souvenirs avec des faits réels.

Le matin le trouva assoupi au pied de son lit, tout habillé, la bouteille de ratafia entre les jambes et la photo sur les genoux.

Le dénouement.

L’automne touchait à sa fin et les cèpes étaient toujours aussi abondants cette année-là. Marc connaissait maintenant les bois et les champignons. A l’occasion de ses chasses il avait eu plusieurs fois l’occasion de saluer le vieux Léon et avait remarqué son attitude ambiguë faite de curiosité ou de sollicitude indiscrète. Il avait reconnu une forme de tendresse qu’il jugeait excessive car il n’en connaissait pas la raison.

La rumeur publique lui avait appris les doutes que ses voisins avaient sur l’état mental du vieil homme, et les champignons étaient devenus pour lui une chose si passionnante qu’il ne souhaitait pas perdre du temps à prolonger ces rencontres. Un jour cependant, alors qu’il venait de remplir son panier dans un sous bois providentiel qu’il ne connaissait pas, il le vit arriver avec précaution. Ne voulant pas lui révéler par sa récolte le coin qu’il venait de découvrir, Marc cacha son panier plein sous des fougères et mit ses mains dans ses poches.

Le vieil homme, qui connaissait l’endroit depuis toujours, comprit ce que signifiait l’attitude du cueilleur sans panier. Fouillant des yeux les alentours, il vit très vite les feuilles retournées du tapis végétal qui dénonçaient la cachette. Il se balança d’un pied sur l’autre prêt à éclater d’une colère un moment contenue, puis son visage se détendit et au fur et à mesure que ses traits s’apaisaient une envie de rire le submergeait. Il marmonna entre ses dents  » bougré d’asé, hier je voulais te donner ma maison et aujourd’hui tu me voles mes champignons ! « . Puis se calmant, il dit à voix haute  » c’est bien pitchoun, tu as fait des progrès …  » Et il partit sur un grand éclat de rire qui retentit dans la forêt bien après qu’il eut disparu sous les arbres.

Marc reprit son panier en pensant que De Gaule avait raison quand il disait que  » toute vieillesse est un naufrage « .

Comment Léon devint un Tamalou (et arrêta le ratafia).

Léon sortit du couvert des arbres et, regardant le ciel, se dit que l’hiver était là. Il se demanda combien il lui restait de saisons de champignons … mais laissa la question sans réponse. Il se promit d’aller dès le lendemain s’inscrire chez les  » tamalous  » car cela lui occuperait l’esprit.

Il appelait ainsi les adhérents du club de troisième âge parce qu’ils se saluaient toujours par la même phrase rituelle :  » et toi t’as mal où ? « .

Bernard DAVIDOU

décembre 2002

Les cerises de Gustave

Gustave était jardinier. Sa maison, son jardin et la grange où il enfermait son âne existent encore, près du ruisseau. Même aujourd’hui, alors qu’il nous a quitté depuis de trop nombreuses années, il n’y a personne au village qui ne sache cela.

Plus rares sont ceux qui se souviennent de ses cerises.

Lorsque je l’ai connu, Gustave était en age d’être Grand-Père. Sa moustache grisonnante et son magnifique sourire lui auraient permis d’être un papy très apprécié si Albertine, sa femme, lui avait donné une descendance mais, et là était son drame, Albertine et la médecine de l’époque n’avaient rien pu faire pour cela.

Condamné à voir grandir hors de chez lui les enfants du village alors qu’il aurait voulu en remplir sa maison, il reportait sur les écoliers dont j’étais un peu de la tendresse malicieuse qu’il n’avait pu extérioriser.

Nous étions quatre du causse qui, sur le chemin de l’école, passions devant sa vigne deux fois par jour. Celle-ci, accrochée au flanc du coteau, à mi-parcours entre la maison et le bourg où sévissait l’institutrice, nous fournissait l’occasion d’une halte lorsque nous remontions le soir vers le mas Delleu où nous attendaient les devoirs et le troupeau à garder.

Pour ces deux raisons, il arrivait que la halte se prolonge. En mai s’ajoutait une troisième raison. En bordure de la vigne, les deux immenses cerisiers qui surplombaient la route étaient couverts de fruits. Que celui qui n’a jamais commis ce genre de larcin nous jette le premier noyau ?

Gustave s’étant rendu compte que les branches les plus basses ne portaient pas de fruits cette année-là, se cacha dans la cabane qui existe encore pour identifier les moineaux qui se gorgeaient de ses cerises. Il nous menaça plusieurs fois mais chaque soir la tentation l’emportait sur la crainte, toute relative d’ailleurs, qu’il nous inspirait.

Un jour, à court d’argument alors qu’il nous avait pris sur le fait une fois de plus, il vint vers nous avec le sourire et un calme qui nous fit oublier de détaler comme nous en avions l’habitude. « Mangez-en bien les petits » nous dit-il « car je les pique avec un produit qui donne mal au ventre ». Penauds et inquiets, nous nous regardâmes avec inquiétude avant de reprendre notre route.

Le lendemain, nous n’étions que trois sur le chemin du retour. Le quatrième, affaibli par une magistrale diarrhée qui l’avait tenu éveillé toute la nuit, avait gardé la chambre. Ce soir-là, à la hauteur de la vigne nous fîmes un détour pour éviter les cerisiers. Gustave qui nous guettait en fut surpris et, je le crois, aujourd’hui, un peu déçu.

Quelques jours plus tard, à l’heure de la fin des cours, un orage menaçait. Toute l’après-midi les nuages noirs avaient tourné au dessus des tours du château comme de gros oiseaux qui cherchent à se poser.

Dans notre insouciance et bien que nous ayons suivi les hirondelles à travers les fenêtres de la salle de classe, nous n’avions pas compris ce qu’elles annonçaient pas leur vol bas.

Pressentant l’orage, Gustave nous rencontra alors qu’il rentrait précipitamment chez lui et que nous attaquions la montée. Il comprit qu’il devait nous obliger à nous abriter et le brave homme ne trouva rien de mieux que nous inviter à « faire quatre heures ».

De nos jours les enfants font peu d’exercice : ils « goûtent » au retour de l’école. La publicité télévisée leur vend pour cela des friandises survitaminées et emballées dans de jolis papiers, qui conviennent à leur petit appétit.

J’emploie l’expression « faire quatre heures » afin qu’il n’y ait pas de confusion à ce sujet. Outre les deux kilomètres matin et soir, nous participions aux travaux de nos parents. Nous ne pûmes résister longtemps à la perspective de tailler dans la miche une large tranche de pain que l’on accompagnerait de jambon ou de pâté et que l’on finirait à la confiture.

C’est ainsi que nous vîmes passer l’orage, au sec. Il y eut le jambon, le pâté et la confiture servis par Albertine, mais nos estomacs bien pleins se serrèrent lorsque nous vîmes arriver … un panier de cerises. Nous refusâmes tous en chœur et poliment comme nos parents nous l’avaient appris.

Albertine ne comprenait pas et semblait fâchée. Gustave n’en revenait pas mais rigolait doucement. Il dût, pour nous convaincre de les goûter du bout des lèvres, nous expliquer avec beaucoup de détails, qu’il ne piquait qu’une partie de ses fruits et qu’il avait un secret pour reconnaître ceux qu’il avait traités des autres.

Nous étions à l’âge des secrets et nous parlâmes longtemps de celui-là sans jamais arriver à le percer.

Gustave n’est plus parmi nous. Si sa cabane existe encore, sa vigne a été arrachée et sans travail les cerisiers sont morts. Je sais que le produit avec lequel il voulait défendre ses cerises n’existait que dans son imagination et que c’est l’abus ces dernières qui provoque le mal de ventre.

Seulement m’est resté de ce printemps, avec cette histoire, la tentation des gros fruits rouges qui m’habite encore lorsque je refais ce chemin.

Bernard DAVIDOU 1998

Page 6 of 10

Fièrement propulsé par WordPress & Thème par Anders Norén