Auteur/autrice : christian.esteve Page 8 of 10

Le fantôme de Belcastel

A Roland et Marie-Pierre BAUDEL, en espérant que ceci les amusera et ne les empêchera pas de bien dormir dans leur belle maison de Belcastel bâtie sur l’emplacement du château, et peut-être du souterrain ...

Je suis né en 1170, dans le château que mes ancêtres avaient bâti sur le bord du causse de Cézac, au milieu de cette vallée qui tire son nom du lin qui y était cultivé et dont la générosité et le débit des sources comme la Canal, en permettaient l’industrie.
Notre vallée du lendou est magnifique, bien plus belle que sa riche et prétentieuse voisine de la barguelonne. Le matin le soleil l’envahit progressivement depuis Lhospitalet jusqu’à Lascabannes.

Il réveille dans sa progression toutes les bâtisses accrochées à ses flancs, Rigambert, Cabazac, La Tauche, Auzonne, Prat Mégiés, Trélafont, l’église de Cézac et enfin Belcastel, m’autorisant ainsi chaque matin, depuis plus de huit siècles que dure la malédiction qui a fait de moi un fantôme, à regagner le souterrain pour me reposer parmi les « tataragnes (1) » et les « mirguettes (2) » qui l’habitent.
Le soir, il assombrit Lascabanes, caresse Marot puis Clément qui lui fait face, s’attarde un peu plus longuement sur la façade est-ouest de Bonnac et éteint les hauteurs de Belcastel, me contraignant ainsi à une nouvelle nuit d’errance parmi les genièvriers les chênes et les « pétarelles (3) » de notre quercy blanc.

Vous n’ avez jamais vu mon suaire transparent ni senti le courant d’air glaçial qui m’accompagne car je ne veux pas effrayer le voyageur nocturne ou les enfants, mais dans la pluie ou le vent, les « ratopenados (4) » ou les « goupils (5) ) s’enfuient à mon approche.
Notre château a disparu, mais le souvenir de sa beauté se perpétue dans le nom actuel du lieu-dit de « Belcastel ».
Ma jeunesse, comme celle de ceux de ma condition, était insouciante et oisive, faite de courses folles à cheval sur le causse ou dans la vallée, de fêtes et de bals ou d’intrigues et rivalités entre les petits seigneurs du voisinage.

Rien ne me prédisposait au malheur avant ce jour où je rencontrai celle qui m’était destinée et que je n’aurais jamais dû quitter.
Rien ne me prédisposait non plus au bonheur qui en fût l’origine et que je n’avais peut-être pas mérité puisque je l’ai perdue.
Aussi longtemps que durera la malédiction qui me frappe, chaque nuit je serai condamné à errer dans ces bois et ces landes, dans le vent le froid ou la pluie, et je me souviendrai avec une émotion immense qui m’amène encore, huit siècles plus tard, au bord des larmes, de ce jour de printemps de notre première rencontre.

Le soir embaumait des parfums des fruitiers en fleurs. Je m’étais enivré de vitesse et mes compagnons, que j’avais distancés, avaient abandonné la course pour laisser souffler leur cheval, me laissant seul dans l’une des nombreuses combes qui, des deux côtés de la vallée, se terminent par une source qui grignote le calcaire du causse qui la surplombe. Je ne me souviens plus du nom de celle où je me trouvais, combe grande, de miquel ou leylou, qu’importe, seul m’est resté le souvenir de la fille qui devait occuper mes pensées et devenir ma seule raison d’être durant tout l’été qui a suivi.

Au premier regard, tout autre que moi aurait reconnu un des nombreux pèlerins de Saint Jacques qui, avec leur gourde, coquille et bâton traversent notre vallée pour reprendre leur route sur le causse de Boisse vers le sud et aurait passé son chemin après lui avoir donné une obole et fait le signe de la croix. Je ne vis que son visage et ses grands yeux mais le sort qu’ils me lancèrent fût tellement puissant qu’il opère encore. Pendant les six mois que dura ce printemps, plus rien ne compta, je perdis mes amis dont les courses vaines ou la conversation ne m’intéressaient plus, je ne vis mes parents qu’à l’occasion des repas irréguliers que la nécessité de mon âge et mon tempérament me contraignaient à prendre.
Je me désaltérais à la source de la combe où ma dame avait élu domicile et je dormais le plus souvent sous le couvert des grands chênes qui lui servaient de toit. Notre bonheur fût immense mais aveugle car, au cours de cet été 1189, l’histoire continuait sa marche.
Après la prise de Jérusalem deux ans auparavant par Saladin, le pape avait ordonné à notre roi et deux autres de la chrétienté de mener la troisième croisade (Philippe Auguste, Frédéric Barberousse, Richard Cœur de Lion) pour libérer les lieux saints, secourir l’orient chrétien contre l’envahisseur infidèle.

La guerre était la seule raison d’être de tous les jeunes de ma caste et la foi notre étendard.
Nous en parlions tous les jours, enfants nous y jouions, adolescents nous nous entraînions en rêvant de batailles, d’honneurs et de butin.
Notre éducation, notre conditionnement familial et social quotidien faisaient des jeunes nobles désargentés dont j’étais des martyrs en puissance pour qui mourir pour les lieux saints ou convertir des sarrasins au fil de l’épée avaient valeur de rédemption.
L’été était hélas fini mais je ne le savais pas encore. Dans l’enthousiasme de mes dix-neuf ans, avec mes compagnons, je décidai de me croiser et partir défendre le peuple de Dieu.

Mon Père, comme ses pairs du voisinage, s’endetta pour m’équiper et accepta de recevoir au château et veiller sur ma dulcinée jusqu’à mon retour. Après bien des pleurs et des serments, je partis pour l’Orient un matin de septembre me joindre à Godefroi de Bouillon.
Ma Mère m’embrassa, mon Père me bénit en me recommandant de faire honneur à notre lignée. Je vis la guerre et les Sarrasins, je fus au siège d’Acre en 1191 et nous prîmes la ville. Nous égorgeâmes beaucoup d’infidèles, des grands, des petits, des gras, des maigres, des courageux qui nous insultaient et se défendaient jusqu’à leur dernier souffle, des lâches qui nous suppliaient de les épargner en faisant le signe de la croix du Christ ou nous promettaient de l’argent ou des femmes.

Je ne fus ni plus ni moins cruel que mes compagnons, j’étais un soldat sûr de la justesse de notre cause : Tuer un infidèle ne pouvait que plaire à Dieu puisque le pape l’avait ordonné. Les sarrasins étaient aussi valeureux et cruels au combat que nous et leur mépris de la mort me fascinait: Comment peut-on être aussi fanatique alors qu’on est dans l’erreur ? Peu après, trahi par un guide sarrasin félon, je fus gravement blessé dans une embuscade et fait prisonnier. Laissé pour mort par mes geôliers avant qu’ils ne m’achèvent comme tous mes compagnons d’infortune, je dus de survivre quelques temps à la pitié d’une femme qui pansa sommairement mes plaies et me fit boire.

C’était une pauvre vieille qui vivait à l’écart des autres infidèles. Tout en la méprisant ils semblaient lui reconnaître certains pouvoirs et la redouter. Elle me faisait penser à ces folles qui existent dans nos villages et sont capable de guérir une brûlure en soufflant dessus ou voir l’avenir dans le vol d’un oiseau ou les lignes de la main.
Les soins, qu’elle me prodiguait sans répondre aux questions que j’essayais de lui poser avec les quelques mots que j’avais acquis de sa langue, me prolongèrent la vie de quelques jours et ses potions m’évitèrent de trop souffrir.
Un jour enfin elle parla: « Pourquoi as-tu quitté ta vallée et ta femme pour venir porter le malheur et le feu dans mon pays, Chrétien ? Sais-tu que tu as un fils qui commence à marcher? ». Après avoir réalisé pleinement le bonheur de savoir que j’étais père, j’essayais de répondre avec difficulté.

Malgré mes efforts pour lui expliquer notre religion et ma mission sacrée, elle ne dit plus rien ce jour-là et continua à laver mes plaies en silence.
Ce n’est que quelques jours plus tard qu’elle répondit « Chrétien, ton Dieu et le mien ne font qu’un. Il condamne la guerre et la cruauté. Les hommes se servent de la religion pour assouvir leur passion du pouvoir ou de l’argent. Comprends-tu cela Chrétien ? Ton pape à Rome est aussi mauvais que nos molhas ».

De jour en jour, malgré les soins de la vieille femme, je m’affaiblissais et ses onguents étaient impuissants à enrayer la mauvaise odeur que dégageaient mes plaies. Je sus que je ne reverrai plus le lendou ni Belcastel ni ma femme ni mon fils dans ce monde. Je me consolais cependant en pensant les retrouver dans le royaume de Dieu.
Quelques jours plus tard, un petit groupe d’infidèles vint dans la maison de la vieille femme. Après quelques chuchotements, il se fit un grand silence puis j’entendis la pauvre femme hurler d’un cri atroce et prolongé. M’étant approché pour lui porter secours, je vis, allongé sur le sol de la pièce, le corps d’un garçon de quinze ans environ. L’enfant était beau et son visage apaisé par la mort aurait pu donner l’impression de sourire, si l’on avait caché la large plaie sanglante du flanc gauche.

Je compris que les sarrasins venaient de lui apporter le corps de son fils, qui avait été victime de mes compagnons. A travers ses larmes, elle me vit et, le visage déformé par la douleur et la haine, elle me maudit : « Tu vas mourir, Chrétien, tu le sais comme moi, tes os resteront dans notre terre à jamais. Ton âme reviendra dans ta vallée mais sera condamnée à errer toutes les nuits tant que les chrétiens et les musulmans n’auront pas fait la paix ».
Depuis cette époque, et pour longtemps encore, si j’en juge par l’actualité, la malédiction de la vieille femme m’empêche de trouver le repos auprès des miens. Je continue cependant à espérer en Dieu car elle m’a appris que l’amour la tolérance et le pardon peuvent exister entre tous les hommes sur cette terre.

(1) tataragne = araignée en occitan. Le jus de tataragne pilée avec de la bave de « gropial » (crapaud), rentrait dans la fabrication de nombreux remèdes.
(2) mirguette = rat des champs, en occitan, qui habite les infractuosités, et donc les souterrains.
(3) pétarelles = genêts en occitan. A ne pas confondre avec les pimporelles, petites fleurs qui ne se montrent qu’aux amoureux, d’où l’expression de l’époque « aller aux pimporelles » qui peut être traduite par « aller aux fraises » en français contemporain.
(4) goupil = ancien nom commun du renard en vieux français.
(5) ratopenados = chauve-souris en occitan.

Bernard DAVIDOU Octobre 2001

 

La traite du soir

par Bernard Davidou

Les  » vacanciers  » de la maison voisine étaient arrivés depuis deux jours déjà et ils ne s’étaient pas encore rencontrés.
Côté estivants, les premières journées avaient été consacrées à décompresser et prendre possession de cette grande maison ancienne, louée meublée au vu des photos qui insistaient sur le  » barbecue  » et la salle de bain, mais ne disait rien du charme du  » bolet  » et de l’escalier avec ses grandes marches de pierre à l’ombre de la treille.

Côté autochtone ou agriculteurs de la ferme la plus proche, ces jours de juillet étaient occupés par les moissons et les foins que l’on rentre sous la menace des orages et qui, avec les soins aux bêtes deux fois par jour, font les jambes lourdes et les reins douloureux quand la famille se réunit le soir, tard, pour le dernier repas.

La conversation s’établit gauchement le troisième jour quand l’estivant prit le prétexte de s’enquérir du point de ravitaillement le plus proche. Par la suite il prit l’habitude de se fournir en produits frais auprès de ses voisins à qui il rendait visite à l’étable, au moment de la traite manuelle du soir. De jour en jour, ce contact avec l’étable, les bêtes, lui procurait de plus en plus de plaisir.
Il découvrait les vaches qui, dans un impressionnant mouvement de cornes, arrachaient le foin du râtelier fixé au mur, sous la trappe par laquelle l’agriculteur l’avait fait tomber de l’étage supérieur.

Il caressait les veaux qui tirant sur leur chaîne, appelaient leur mère dans l’attente impatiente de la tétée. Un soir il s’amusa du va et viens des hirondelles qui nichaient contre une poutre du plafond, parmi les toiles d’araignées, et il observa un moment leur manège. Il s’enivrait de l’odeur forte et chaude de la grange et lorsqu’il rentrait au gîte rural, sa femme exigeait qu’il se douche avant de passer à table.
C’est ainsi que l’employé parisien vanta les avantages de la vie au grand air, libre et responsable, proche de la nature. Il l’opposa au travail  » en miettes  » qu’il subissait dans l’enfer bruyant de la capitale.

Par pudeur il s’abstint d’évoquer la menace de restructuration dont son service était l’objet. Il s’enquit, avec tact, du prix du bétail, des céréales et des rapports que les terres pouvaient donner. Il laissait un long silence entre chaque question et son interlocuteur lui était reconnaissant de marquer ainsi l’importance et le respect que l’on doit à l’argent qui est si dur à gagner.
Plusieurs fois, l’homme de la terre voulut répondre et parler des commodités de la ville, de la certitude du salaire en fin de mois, des aléas de l’agriculture et de l’élevage, de l’augmentation du prix du carburant , bref de la régression constante du revenu agricole … mais son manque d’assurance dans les longues phrases et la surveillance des bêtes l’empêchaient de s’exprimer autrement que par des monosyllabes.

Désormais la rencontre des deux hommes, en fin de journée, dans l’étable, était devenue une habitude quotidienne. Ils avaient plaisir à se retrouver comme s’ils étaient amis depuis toujours. De jour en jour, la conversation de l’estivant se fit de plus en plus libre. Un soir il développa son rêve de retour à la terre, ses projets : des animaux, une petite maison avec une grande cheminée, un jardin, une chèvre, un âne …

L’agriculteur sourit et acquiesça par politesse. Il songea avec nostalgie à l’affiche sur le mur de la mairie, qui, lorsqu’il avait vingt ans, avait failli changer le cours de sa vie parce qu’elle vantait les avantages d’une carrière dans la gendarmerie …
Après avoir visité tout ce qui était répertorié dans le dépliant du syndicat d’initiative, vint le jour du retour vers la capitale.
Les deux amis trinquèrent aux vacances finies avec du ratafia, produit naturel par sa fabrication, dont une bouteille servit de cadeau souvenir.
On se dit au revoir après avoir échangé adresse et numéros de téléphone, au cas où l’agriculteur trouverait enfin cet automne le temps de faire la visite au salon de l’agriculture dont il avait envie depuis longtemps.

Lorsque la voiture eut disparu au bout du village, il regarda successivement les deux maisons fermées et celle de son voisin célibataire qui, avec la sienne, constituaient le hameau où il avait toujours vécu. Il se dit qu’il avait eu une belle vie. Il souhaita que, lorsqu’il ne serait plus là, quelqu’un vienne, une fois par an habiter sa maison.

Bernard DAVIDOU octobre 1987

La cazelle

par Bernard Davidou

Des amis de Calamane m’ont offert récemment un très beau livre sur ces bâtisses de pierres sèches que l’on rencontre partout dans nos campagnes, dont on admire la sobriété des lignes en leur harmonie avec la nature qui les entoure. Je l’ai lu avec beaucoup de plaisir et dans tous les sens. Je l’ai rangé dans ma bibliothèque et le reprendrai avec le même plaisir. Cette lecture m’a rappelé une très vieille histoire que ma Mère me racontait parmi tant d’autres quand j’étais petit.

François vivait au bourg dans ces temps lointains où l’homme n’avait pas encore inventé ce que l’on désigne par « le progrès ». Il avait passé l’âge des amours et sans être très vieux, désespérait ses parents par son célibat. A vingt ans François avait été un beau jeune homme, intelligent travailleur et sobre, mais un affreux bégaiement l’empêchait de dire, dans le bon ordre, aux filles du village les mots qu’elles aiment et il était resté seul.

Il s’accommodait très bien de ceci, partageant son temps entre sa terre et son étable. La première consistait essentiellement en une parcelle caillouteuse sur l’une des collines qui dominent le village. Sur une partie il avait planté une vigne et produisait dans ce qui restait les légumes et céréales nécessaires à la vie de sa maison.

Dans l’étable vivait son âne qui était son compagnon de travail et de solitude. Dans le village il avait de nombreux amis avec lesquels il se réunissait autour d’un bon repas chez l’un ou l’autre. Il y avait Patrice le jardinier capable de réussir à greffer un chêne truffier sur une canne à pèche, dont la femme venait du sud.

Patrick qui fabriquait des bougies et réparait les calhels et dont la femme était lisseuse de draps. Jean, dont le second prénom était Paul, le bailli de la paroisse, et sa femme qui devait sa guérison d’une longue maladie autant aux bons soins de la médecine de l’époque qu’à ceux de son mari,

Bernard l’écrivain qui ennuyait tout le monde, parce qu’il avait appris un peu de latin, avec des histoires qui dataient d’on ne savait plus quand et sa femme Francine, une sainte, qui faisait le cochon ou le canard selon la saison, mieux que personne dans la contrée. Il y avait enfin Daniel et Marie deux gentils étrangers immigrés qui avaient trouvé le village agréable et s’y étaient arrêtés en achetant une maison. Les années se succédaient sans que François éprouve le besoin de changer quoi que ce soit.

Elles ne se ressemblaient qu’en apparence seulement. François était économe et après chaque récolte vendue, il ajoutait quelques louis d’or dans la « toupine » qu’il cachait dans sa cave. Sans connaître l’importance de son trésor, ses voisins et amis se doutaient de l’existence du magot, mais il fallait bien une compensation à l’infirmité qui était cause du célibat et François avec ses difficultés à finir ses phrases faisait rire … alors on lui pardonnait d’être un peu avare.

Il en était une cependant que le trésor ne laissait pas indifférente et qui, bien que plus jeune, était prête à tout pour profiter des louis de François. La Jeanne était une belle fille, revenue récemment d’un voyage qu’elle avait entrepris en suivant un cheminot de passage à Calamane l’hiver précédent.

François n’aurait jamais osé songer à elle si la coquine ne l’avait enjôlé à force de services rendus à repriser des chaussettes ou tricoter des bonnets et des sourires à faire perdre son salut au plus vertueux des moines. Bref après six mois de siège de la belle, François se trouva contraint mais pas mécontent de « réparer » et se marier au plus vite.

Il y eut la fête, puis le repas et le bal dans la cour. Tous les amis étaient là, partagés entre le bonheur et l’inquiétude concernant l’avenir. Comme le veut la tradition lorsqu’un homme d’âge avancé marie une jeunesse, les garçons de l’âge de la mariée organisèrent un grand « charivari » et François mit un tonneau de ratafia en perce ce qui satisfit tout le monde dès les premières tournées.

La vie reprit à Calamane. Les ambitions en même temps que le caractère volage de la belle se confirmèrent et la mésentente s’installa très vite car François amoureux mais sensé ne voulut jamais dire où était son trésor qu’il continuait d’alimenter à chaque récolte. Lassé du comportement de sa femme et bien qu’il en ait eu un fils, François passait de plus en plus de temps dans sa vigne, travaillant sans cesse à remonter la terre ou entasser les pierres sur le « cayrou » qui grossissait en limite de parcelle.

Un jour sur les conseils de ses amis, il décida de s’y établir et entreprit pour cela de construire une cazelle. Il la situa dans la partie la plus haute de son champ, la porte orientée à l’est. Large de vingt pieds de diamètre sur douze de haut, toute en pierres sèches parfaitement jointives avec sa cheminée centrale elle suscitait l’admiration de tous et la compassion pour ses malheurs : « Voilà la gariotte de ce pauvre François » disait-on en passant dans le chemin du Mas Delleu.

On ajoutait souvent « heureusement qu’il a mis la porte du côté où le vent ne donne pas, sinon il n’aurait pas pu sortir par grand vent !». Ses deux seules joies étaient son fils qui venait le voir travailler et son magot qu’il avait caché dans le tas de pierres à côté de la porte.

Les années passèrent ainsi, François et la Jeanne chacun de leur côté jusqu’au jour où, pris d’un malaise, François fut rapporté mourant dans sa maison du bourg. Jeanne le soigna comme elle put et lui demanda à nouveau où étaient les louis.

Dans l’intérêt de son fils et sentant sa fin prochaine, paralysé partiellement, le malheureux bègue, avec ce qui lui restait de forces essaya d’articuler « O..oun !, .. O ..oun ! » en désignant du menton la cheminée qui lui faisait face et au-delà des murs, la colline sur laquelle se trouvait la cazelle. Mais la Jeanne ne comprit jamais et eut beau fouiller dans l’âtre sur le manteau et sous toutes les pierres branlantes qu’elle comportait, elle ne trouva rien.

Depuis quelques années, des maisons neuves sortent de terre en quelques jours sur notre commune, comme sur ses voisines proches de Cahors. Je repense à certains de nos anciens qui, au soir de leur vie me disaient : «mon pauvre garçon, dans vingt ans il n’y aura plus personne, je ne le verrai pas mais toi, hélas, tu verras tout en ruine et désert ».

Ils se sont bien trompés et je m’en réjouis. Par contre quand le descendant de François a voulu vendre à un candidat à la construction, la parcelle sur laquelle était la cazelle éboulée, il a, au préalable, enlevé lui-même le cayrou avec un bulldozer. Ceci semble prouver que ma Mère n’était pas la seule à connaître cette histoire.

Bernard DAVIDOU mars 2002

Une enfance Caillacoise

(La double citoyenneté)

Nos parents se marièrent en mille neuf cent quarante deux et se séparèrent douze ans plus tard. La mésentente régnait depuis longtemps déjà et les querelles continuèrent longtemps après, sous des formes différentes telles que lettres, commandements, etc …

Notre Père, blessé en Belgique le fût une seconde fois dans la poche de Dunkerque d’où il fût l’un des derniers évacués avant l’arrivée des allemands. Ancien combattant pensionné de guerre, il fût nommé en cinquante quatre  » receveur buraliste  » à Caillac.

Il avait obtenu après un concours cet  » emploi réservé  » qui, du paysan qu’il était avant, le transformait en commerçant contractuel de l’administration, chargé de vendre les produits du monopole de la SEITA et d’établir les titres de transport, les états des stocks de vins et alcools dans ce village. Il l’avait choisi alors qu’il aurait pu prendre le poste de Moncuq, plus important et mieux payé. Son choix avait deux raisons. Il restait proche de Calamane oû résidait notre Mère et nous pouvions ainsi aller de l’un à l’autre facilement à vélo. Enfin il comptait sur le temps libre que lui laisseraient des responsabilités moins importantes, pour continuer à mener une activité agricole dans cette vallée alluvionnaire plus riche que le causse.

Ma sœur et moi n’avions plus  » des parents «  comme les autres enfants de notre age mais un Père et une Mère, qui essayèrent chacun de son côté de recréer un nid dans lequel ils nous accueillaient, à tour de rôle, avec tout l’amour et la sécurité d’un foyer uni. Nous étions chanceux et nous eûmes deux fois plus que les autres. Nous eûmes aussi la double citoyenneté Caillacoise et Calamanaise et l’occasion de nous faire des copains que nous retrouvions lors des vacances scolaires.

Il y avait les petites vacances que constituaient toussaint, noël et paques. Elles étaient si courtes qu’elles ne nous laissaient que le temps de souffler et se refaire des forces avant d’attaquer le prochain trimestre.

Le mois de juillet nous ramenait de nos pensionnats cadurciens, toulousains ou figeacois et nous avions hâte de nous revoir. Nous nous rassemblions au bord du lot pour la baignade et nous décidions de l’endroit ou nous installerions, sur la berge droite de la rivière, un plongeoir qui deviendrait l’œuvre de l’été et notre bien commun. Lorsque ce choix était fait, nous nous répartissions les tâches et tout naturellement Guy prenait la direction des opérations :

– Bernard tu apporteras le marteau et les pointes.
– Dédé tu nous trouveras une scie et des pinces,
– Christian … René …Jacky …

Plusieurs fois, notre travail fut interrompu par l’arrivée courroucée de mon Père ou un autre, qui, après une sieste plus courte que prévu, cherchait son outil pour continuer son bricolage, à l’ombre de sa grange. Nous trouvions quelques planches réformées, un peu de fil de fer et une semaine plus tard, en quelques après-midi, le travail était presque terminé, jamais totalement fini, du moins pouvions nous utiliser le plongeoir qui avançait sur la rivière à un endroit ou la profondeur de l’eau permettait nos prouesses acrobatiques !

En fait d’exploits, je parle surtout des autres. J’avais appris à nager tardivement avec mon Père qui par sécurité m’attachait à la cheville avec les  » rennes  » du mulet pour me permettre de m’exercer à la cale. Encore une fois, Guy était le meilleur et ses plongeons laissaient les filles les yeux ronds et rêveurs… Comme dans toutes les bandes de jeunes il y avait des filles autochtones et d’autres, exogènes, à l’accent pointu. On les appelait  » les vacancières «  ou  » les Parisiennes «  avant de connaître leur prénom. Il y avait deux catégories de vacancières qui par trois vagues successives, juillet, août et septembre, habitaient notre village.

Les  » vacancières de chez NADAL « , résidaient avec leurs parents en pension chez Fernand et Sylvaine qui tenaient l’hôtel restaurant qui existe toujours. Je me souviens de la surprise de Sylvaine la première fois qu’en début de mois elle servit l’apéritif à quelques jeunes de la commune dont l’objectif n’était pas éthylique mais de voir les nouvelles arrivées…

Il y avait enfin les vacancières logées chez l’habitant qui, aidé par des primes conséquentes, avait restauré un appartement indépendant dans sa maison (comme mon Père) ou une bâtisse inoccupée. Les papas de ces demoiselles allaient à la pèche toute la journée. Les mamans tricotaient ou papotaient à l’ombre devant la fontaine sous la garde attentionnée de Sylvaine, et, souvent les filles rejoignaient notre bande ou des amourettes ne tardaient pas à éclore.

Mon Père, était une force de la nature. Sanguin, torse nu tout l’été, toujours souriant et actif, il a gardé plus de vingt ans un mulet avec lequel il travaillait quelques lopins de terre et sa vigne. Il vendait du vin, des fraises, des haricots et d’autres légumes. Il engraissait parfois quelques animaux, pour un petit bénéfice et le fumier nécessaire à ses cultures. Pour eux il allait faucher  » ses prés longs « . Il appelait ainsi les banquettes des routes qu’il rasait de très prés avec sa grande faux qu’il m’a appris à piquer et utiliser.

Une année, il conclut avec Fernand NADAL un contrat qui lui permettait de récupérer, chaque jour, les restes du restaurant avec lesquels il élevait trois ou quatre porcs dont il partageait le bénéfice avec ce dernier. Chaque soir nous allions récupérer les fonds de plats ou assiettes que les clients avaient dédaignés ou pas pu achever (le restaurant avait très bonne réputation) et que les serveurs vidaient dans une grande poubelle.

Les affaires marchaient très bien et je revois encore mon Père fier de ses bêtes et de leurs progrès, leur parlant comme à des enfants, à qui il autorisait tous les soirs une récréation dans la cour fermée de sa maison. Un matin cependant les porcs refusèrent de se lever et avaient perdu cet appétit qui faisait la joie de leur maître. Nous eûmes peur d’une épidémie foudroyante et étions prêts à demander le secours du vétérinaire lorsque, fouillant avec un bâton dans la poubelle à nourriture, mon Père trouva tous les babas au rhum que Sylvaine avait préparés le jour précédent pour un groupe de clients qui s’était décommandé au dernier moment. Après avoir bien ri de les voir dans cet état, nous laissâmes nos porcs jeûner et attendre le changement de menu. Avec les revenus de ses diverses activités, prenant prétexte de ma réussite au bac, il m’acheta une barque neuve.

A cette époque, le Lot était poissonneux. L’été les vacanciers avaient chacun leur  » trou « . On appelait ainsi un coin de berge que le pécheur aménageait en coupant les branches gênantes, en égalisant la terre au-dessus du niveau de l’eau de façon à pouvoir installer confortablement ses cannes et poser son siège pliant. Fernand NADAL qui, comme sa Sylvaine avait le sens commercial, en entretenait plusieurs qu’il réservait d’une année à l’autre à ses meilleurs et fidèles pensionnaires.

Fascinés par la rivière, les  » caussenards «  que nous étions étaient friands de ses produits. Mon père tenta plusieurs fois d’aller pécher avec une mouche qu’il faisait danser au bout de son bambou, depuis la barque. Après avoir laissé quelques hameçons dans les branches basses des arbres qui retombaient sur l’eau, il décida qu’il n’était pas fait pour cette activité et abandonna. Avec Guy nous avons essayé de braconner des écrevisses dans le ruisseau ou des anguilles dans le lot, qui en comportait encore quelques-unes. Pour cela je laissais faisander une tête de mouton dans un coin de la grange de mon Père. Quand elle était bien grouillante d’asticots et odorante, nous nous en servions comme appât dans des nasses ou des balances.

Le succès tardant à venir et mon Père ayant trouvé un moyen de nous approvisionner en poisson frais, j’abandonnais très vite. Les vacanciers qui allaient prendre leur quart à surveiller leur bouchon passaient devant notre maison quatre fois par jour. Ils s’approvisionnaient en gauloises, gitanes ou tabac gris et nous faisions connaissance. Comme ils ne pouvaient pas consommer les poissons qu’ils attrapaient, ils nous les laissaient et nous nous régalions de carpes arc-en-ciel ou autre menu fretin plein d’arêtes mais à la chair savoureuse et ferme.

Mon père avait beaucoup d’amis dans la commune. Le plus pittoresque était Antonin qui arrivait en criant  » Minonoum Davidou !  » et dont on percevait l’odeur fauve dés qu’il s’approchait à moins de trois mètres. Il jouait de la clarinette et avait eu, dans sa jeunesse un certain succès en animant seul des bals interdits pendant la guerre ou des mariages. Il travaillait comme journalier chez ceux qui le demandaient, … beaucoup au printemps et en été un peu en automne, rarement en hiver, saison au cours de laquelle il avait souvent faim et froid dans sa maison dont le toit laissait voir un trou parmi les tuiles rouges. Lui ayant demandé s’il ne pleuvait pas sur son lit, il me répondit qu’il l’avait poussé dans un coin de la pièce encore protégé par ce qui restait du toit.

Parfois, à la mauvaise saison mon Père avait pitié de lui et l’invitait à partager son repas. Antonin s’asseyait devant son couvert prenait l’assiette à soupe entre ses doigts sales et la reniflait avec bruit. Invariablement il décrétait « cô put lou fresqun ! «  et d’un geste ample et circulaire de son coude il l’essuyait avec le revers de sa veste. Il était toujours de bonne humeur et colportait les nouvelles de chez l’un chez l’autre sans trop de discernement.

Parce qu’il avait dit des choses qui ne plaisaient pas au Père Boussac, celui-çi l’avait menacé de faire tomber le rocher qui, quelques mètres plus haut, dominait sa maison. Antonin, qui était craintif, avait passé quelques nuits seul dans les coteaux avec sa clarinette et une bougie qui clignotait le soir tandis que parvenait la mélodie de quelque chanson démodée. Lorsqu’il eut soixante cinq ans il eut droit à une petite pension, partie de retraite ou fonds national de solidarité, qui lui permit de s’acheter un poste à transistor et de vivre enfin les plus belles et dernières années de sa vie.

Parmi les amis de mon Père il y avait aussi Mme et M. Montet. Ils s’échangeaient des services et tous les ans pour la fête de Caillac, qui avait lieu le premier dimanche après le quinze août, Mme Montet nous faisait un massepain, gâteau dont la tradition s’est perdue dans notre quercy. Ce jour là malgré la chaleur de l’été, mon Père allumait le four de la cuisinière pour cuire le rôti qui lui permettrait de recevoir la famille de son frère et celle de sa sœur. Je me souviens d’un été ou, bien qu’il n’ait pas fait anormalement chaud, les mouches avaient envahi la maison, malgré les pulvérisations de  » Fly-tox «  et les serpentins collants.

En ouvrant son four pour le nettoyer en prévision du rôti à cuire, mon Père eut la désagréable surprise d’y trouver … une tête de mouton qui datait de mes aventures piscicoles de juillet.

Les fêtes constituaient la seule occasion de nous divertir et de sortir car il n’y avait ni télévision ni boite de nuit. Leur cycle était immuable d’une année à l’autre : Il commençait par celles de Laroque des arcs ou Pradines et se terminait par celle de Luzech le huit septembre. Pour les amateurs il y avait, dans un genre plus authentique et sylvestre, la foire du Dégagnazes qui a lieu le neuf septembre.

Nous nous y retrouvions le samedi soir, le dimanche en matinée et soirée. Les plus acharnés ou amoureux, sortaient aussi le lundi soir. Nous avions des mobylettes bleues et je garde la nostalgie des longues chevauchées en compagnie de mon grand copain Dédé, des pannes dans la campagne obscure, lorsqu’il fallait remettre la chaîne en place pour achever d’arriver au bal ou … siphonner du mélange dans un réservoir ami pour pouvoir revenir chez nous à trois heures du lundi matin. Dédé nous a quitté bien trop tôt hélas.

Le  » point d’orgue  » de nos vacances se situait lors de la fête de Caillac qui avait lieu, comme je l’ai déjà dit, au milieu de celles-ci. Tous les jeunes savaient danser et dés les premières mesures de l’accordéon ou du saxophone, les garçons invitaient leur cavalières que parfois ils arrachaient à la garde de la maman. Lorsque l’on avait fait connaissance, le garçon proposait une promenade hors de la lumières gênante des lampions. Chacun avait son  » truc « , plus ou moins original ou attractif. J’en connais un , dont par charité (bien ordonnée …) je tairai le prénom, qui proposait une promenade en barque sur le Lot.

Les adultes que nous sommes devenus pourraient penser que ce  » truc « , qui avouons le, sentait fortement la préméditation, était voué à l’échec. L’aspect romantique de la proposition, l’emportait largement sur toute autre considération et, même les soirs de fête sans lune, le  » truc « , (qui ne faisait pas  » crac, boum hue «  comme celui de Dutronc) lui permettait de beaux succès auprès de caussenardes qui rêvaient de Venise et son grand canal ou de parisiennes libérées par l’ambiance des vacances.

Un dimanche soir de fêtes cependant, l’aventure faillit tourner au drame. La barque, mal calfeutrée prenait l’eau et la Juliette se rappelant à temps qu’elle ne savait pas nager exigea un retour précoce et peu glorieux pour son Roméo d’un soir qui en garde un souvenir fait plus de regrets que de frayeurs.

Le lundi de la fête était plus calme. L’après-midi avait lieu la traditionnelle course au canard sur le lot et après la fin du bal, vers les trois heures du mardi matin, Sylvaine servait le réveillon aux jeunes du comité. Les deux événements étaient liés, comme on va le voir.

Lors de mes vingt ans j’étais  » conscrit  » et donc membre de droit du comité des fêtes ou je retrouvais toute la bande de garçon et filles. Monsieur Singlande, seul adulte parmi nous, représentait, avec discrétion, la caution du conseil municipal. Sylvaine nous avait promis de nous préparer le traditionnel réveillon à condition que nous lui fournissions trois canards. Il fut assez facile de trouver auprès des Caillacois et nos familles cinq canards que nous devions lâcher lors de la course aux canards. Nous pensions récupérer facilement au moins les trois nécessaires à notre réveillon.

Quand nous apprîmes le lundi matin que les jeunes de Douelle avaient décidé de venir tenter leur chance l’après-midi, Guy décréta l’état d’urgence. A deux heures il semblait plus confiant mais ne voulait rien dire de plus que  » laissez moi faire ».

A cinq heures, sur la berge de la cale, la musique chauffait une foule de spectateurs insouciants qui nous applaudirent lorsque nous arrivâmes, derrière notre chef portant nos cinq volatiles qui semblaient bien décidés à éviter le réveillon. Voyant que nos voisins, en tenue de bain, s’apprêtaient nous disputer celui-ci, Guy, notre meilleur espoir au crawl, dit avec gravité :
– La situation est grave, faites pour le mieux, c’est moi qui lancerai les canards à l’eau quand j’atteindrai le milieu du lot avec la barque.

Stupéfaits de voir leur meilleur espoir renoncer à concourir, les Caillacois firent silence. Alors qu’il arrivait à une petite moitié de la largeur de la rivière, Guy posa les rames, détacha le premier canard et après avoir discrètement cogné la tète du volatile sur le fond de la barque il le lança vers l’un des nôtres qui s’empressa de l’attraper, avant qu’il ne coule comme un caillou, sous les applaudissements de la foule et les coups de cymbale des musiciens. Il en alla de même du second et des murmures commençaient enfler du côté de nos voisins. Le troisième canard me tomba dans les bras et j’eu l’adresse de lui éviter la noyade.

Après quoi, fier de la mission accomplie et en grand seigneur il détacha lentement les pattes du quatrième palmipède qu’il jeta, bien vivant, au milieu de la rivière après un baiser d’adieu sur la tète. Il y eut du spectacle et de l’imprévu car personne ne se doutait que le bestiau était capable d’établir des records d’apnée. Se débattant en laissant quelques plumes dans les mains avides des nageurs qui croyaient le tenir, il virait à quatre-vingt-dix degrés, plongeait et restait un long moment sous la surface tandis que nos concurrents se demandaient, pendant d’interminables secondes, quelle sorcellerie le faisait disparaître à droite alors qu’il réapparaissait en caquetant et battant furieusement des ailes à gauche de la barque.

Bref, il réussit à gagner les joncs de la berge et fut perdu pour tout le monde. La musique joua  » de profoundis «  et Guy lança le dernier canard devant un jeune de Douelle qui eut tôt fait de l’attraper sous des salves d’applaudissements, dont une partie seulement lui étaient destinés. L’honneur était sauf et Sylvaine, dont la buvette avait beaucoup travaillé cette année, nous prépara un bon réveillon.

Il n’y a plus de course au canard à Caillac, et la vie a dispersés la plupart de nous, André nous a quittés, mon Père repose dans le champ de Mr Pévré qui est devenu le nouveau cimetière ou tous ses amis l’ont accompagné une dernière fois en quatre vingt seize. A côté de sa maison de marbre se trouve celle des Montet. Lorsque je vais lui faire une visite, je pense que les vivants qui l’ont connu ont une pensée pour lui quand ils vont se recueillir auprès des leurs. Il est entouré des champs qu’il a travaillés et il surveille sa vigne qui est à quelques mètres de son caveau.

Je sais aussi que ceux qui ont fait leur vie hors de Caillac, Gervais, Nicole, Jean-Pierre, Guy, Jean, Suzy,… sont propriétaires, dans ce village, de souvenirs qui leur donnent droit, comme moi, à une double citoyenneté.

Bernard DAVIDOU
réécrit en 02/2005

(premier texte en 96  » La double citoyenneté « ).

L’enfant du Blagour

Devant elle, la Borrèze coule, abondante, généreuse. Marguerite, contourne le gouffre profond et large du Blagour qui la terrifie. Sa couleur vert émeraude l’hypnotise, à chaque passage, elle craint d’être engloutie dans les fonds profonds du gouffre.

D’un pied leste, elle descend la pente de la source de la Castinière. Le murmure de l’eau chante à ses oreilles. Des branchages, doucement, langoureusement, voguent sur l’eau, le lit de la rivière est tapi de verdure. Les bosquets de cornouillers et de sureaux noirs sur le rivage sont touffus, épais, si elle y entrait, si elle s’y cachait ! elle serait si bien à l’abri des regards, sous la fraîcheur des branchages.

Il lui suffirait d’attendre, ne plus rien entendre, ne plus rien voir, simplement contempler cette eau voyageuse, calme et sereine. Mais Marguerite sait que tout cela lui est interdit, ce n’est qu’un rêve.

Annette SOURZAC La font trouvée 19600 Nespouls anette.sourzac@wanadoo.fr

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Si elle est là dans ce cadre merveilleux, ce n’est pas pour le plaisir d’une promenade insouciante comme font les grandes dames reçues au Moulin du maître.

Si elle est là, au bord de cette rivière enchanteresse, où, l’eau est claire et limpide, cette eau qui la berce et lui fait oublier son chagrin, c’est pour emplir ses deux seaux et les ramener, sans en perdre une précieuse goutte, au Moulin du Blagour.

Malgré tout, descendre à la corvée d’eau, pour elle, est toujours un grand plaisir.

Elle sait qu’elle pourra, malgré le travail, grappiller quelques précieuses minutes de liberté, rien qu’à elle, loin des regards des autres serviteurs, loin de la grosse Mathilde qui ne la quitte pas des yeux et dont la main est si leste lorsqu’elle n’est pas rapide à la tâche.

Elle sait qu’elle pourra s’abreuver à satiété de la lente descente de la rivière, s’imaginer au fil de l’eau tel un minuscule fétu de paille, voguer et valser, insouciante.

Mais elle sait aussi qu’il lui faudra repartir, chargée de ces énormes seaux de bois si lourds, emplis de cette eau souveraine, les amener à la cuisine pour Angéle la cuisinière, et reprendre son service. A dix ans, elle a déjà un long passé de travailleuse.

Placée par ses parents au Moulin depuis ses six ans, elle a nourri poules, canards, oies et les imposants dindons qui la terrorisaient. Au fil des jours, les travaux se sont enchaînés plus durs, plus longs les uns après les autres.

Elle a appris à être à la disposition des maîtres du lever au coucher du soleil en échange de la nourriture, d’une vieille robe retaillée dans celle d’une servante, d’une paire de sabots et d’un sac de grain à chaque saison pour ses parents.

C’est sa vie, servir, travailler loin des siens pour le Vicomte de Turenne à qui appartiennent les terres. Sa mère, une fois par mois, vient la voir en se rendant à la foire de Souillac, sur le seul âne qu’ils possèdent ; elle n’hésite jamais à faire un grand détour des Malherbes au Blagour pour embrasser sa fille, sa petite, sa dernière d’une longue fratrie. Mais combien de ses enfants sont morts, si jeunes, de faim, de maladie ? Seul l’aîné demeure à la ferme pour les aider, le seul qui héritera de ce maigre lopin de terre, dont il deviendra comme son père, son grand-père et ses aïeuls, l’esclave devant s’acquitter des lourds impôts royaux.

Leurs terres de Malherbes qu’ils labourent, appartiennent aux abbés de Souillac. Il faut assurer la corvée, leur donner des journées de labeur, leur porter le grain pour la Saint Julien, économiser les écus d’or à donner encore pour la Sainte André sans oublier d’amener la volaille à Noël et ainsi s’acquitter des redevances exigibles par les riches abbés, qui vivent dans la magnificence et non comme de simples pécheurs.

Marguerite égrène ses maigres souvenirs en remontant vers le moulin, un frisson la parcourt. Noël 1574, c’était, il y a quelques semaines, elle se souvient de la chaleur du feu de la cheminée, du retour de la messe de minuit où ses sabots de bois claqués sur la terre gelée. Puis,de fil en aiguille, lui reviennent en mémoire, les histoires racontées par son aïeule à la veillée, le soir au coin du feu, elle était si enfantou mais ces paroles l’ont marquées à jamais.

Sa grand-mère lui contait des histoires de loup rodant le soir au fond des combes profondes, des loups qui hurlaient à la lune, quand le vent soufflait si fort, des loups qui s’approchaient des maisons, qui entraient dans les bergeries et choisissaient leur proie parmi le maigre troupeau.

Annette SOURZAC La font trouvée 19600 Nespouls anette.sourzac@wanadoo.fr

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N’a-t-on pas dit qu’à Borréze, un enfanceau fut arraché du berceau par une louve ? Pourvu qu’elle ne croise jamais ces yeux jaunes fendus, cette mâchoire carnassière, quand elle garde les quelques chèvres de Maître Maure sur les hauteurs de la Chapelle Haute.

A chaque fois, elle prend bien garde de ne pas s’asseoir trop prés des fourrés de chèvrefeuille et de prunelliers, de peur d’être happée par une bête malfaisante.Sortant de sa rêverie, elle arrive enfin au Moulin, quelle effervescence ! une vraie ruche !

Hommes, femmes, enfants, courent en tous sens. Malgré le froid vif du dehors en ce mois de février, la sueur perle au front de chacun.Il leur faut obéir aux ordres, courir et ne rien oublier, demain est un grand jour, jour d’épousailles de Jeantou, fils de Jean Maure, maître du Blagour et de Pétronille.

Le mariage sera célébré à la paroisse de Reyrevignes, lieu de naissance de la jeune épousée mais la fête aura lieu au Moulin. Marguerite attend avec impatience ce moment, une noce ! Pensez-donc !

Il y a eu tant et tant de misères ces dernières années, tant de hameaux abandonnés, tant de maisons fermées, la grande peste a tuée de si nombreux villageois. Un mariage c’est une grande joie et un grand espoir d’avoir de la descendance, de ne pas voir sa lignée s’éteindre.

C’est aussi la promesse de manger pour une fois à sa faim, d’oublier les ventres vides, de ne pas les entendre gronder. Maître Maure montrera sa richesse à la future belle-famille de Jeantou. Rots, viandes et poissons seront apprêtés avec grand soin par Angèle et les servantes en cuisine, trois jours de liesse et de bombance, où l’on chantera et dansera jusque tard dans la nuit.

Les odeurs qui envahissent déjà les cuisines font saliver Marguerite.Elle se précipite dans la cuisine, pose ses lourds seaux d’eau, espérant pouvoir chaparder un peu de pain sorti du four, la douce mie fond déjà dans sa bouche. Mais c’est sans compter sur la vigilance de Mathilde, qui, malgré l’excitation qui règne dans la cuisine, a les yeux partout, et ne rate jamais l’occasion de rabrouer Marguerite.

La petite, alors qu’elle saisit une miche de pain odorante, sent une rude poigne s’abattre sur son épaule :
– Que fais-tu là, fainéante ? Va me chercher de l’eau au ruisseau, j’en ai grand besoin pour nettoyer et faire briller la salle de réception choisie par le Maître, le puits ne suffit pas, et nul besoin de gâcher une eau si claire pour laver les sols. Allez, va, souillon !

Oh ! si elle pouvait, elle étranglerait cette vieille chipie qui l’a prise en grippe dés le premier jour. On dit que Mathilde n’aime pas les enfants, qu’elle n’a jamais convolé en justes noces mais que les colporteurs qui passent dans les villages ne la laissent pas indifférentes ; on dit aussi que la Mathilde a tant de fois utilisée de l’herbe à la rue pour faire disparaître de son ventre l’enfant qui poussait.

Annette SOURZAC La font trouvée 19600 Nespouls anette.sourzac@wanadoo.fr

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Marguerite reprend vaillamment ses récipients en bois pesants et redescend vers la rivière. Alors qu’elle plonge le premier dans l’eau limpide, elle entend un étrange bruit, là, venant des fourrés de noisetiers. Des pas font craquer les feuilles d’automne qui tapissent le sous bois.

Elle sent une présence, elle devine un regard posé sur ses gestes. S’agit-il d’une bête sauvage qu’elle aurait surprise ? Les bêtes s’abreuvent à l’aube ? où peut-être est-ce une bête blessée ? Peut-être même un loup ?

Déjà, elle ôte ses sabots de bois pour les claquer l’un contre l’autre, espérant que le bruit ferait fuir l’animal sauvage. Marguerite frémit et repense à toutes ces histoires racontées, d’enfant esseulé, dévoré ; ou du mauvais génie sorti tout droit du gouffre de Blagour, si profond.

Ne le voit-on pas, à certaines périodes, rejeter de grandes gerbes d’eau à plusieurs mètres de haut, tandis que les paysans du Boulet voient eux leur source se tarir brusquement !

Quelle diablerie peut-il bien se cacher dans les profondeurs de ce gouffre ? Elle a peur mais malgré son effroi, elle scrute les buissons, elle aperçoit une ombre. Marguerite ne fait plus un geste, tétanisée, son esprit est gourd, ses jambes paralysées. Elle est là, inerte, fixant du regard les arbustes.

A travers les branchages, elle distingue maintenant une masse sombre, puis, tout à coup, alors que l’esprit lui revient, alors qu’elle s’apprête à s’enfuir en hurlant, une main se pose sur son épaule, son cœur bat la chamade, ça y est, sa dernière heure est venue, elle va être emportée dans les ténèbres à jamais.

Mais, cette main ne la tire pas de force vers les sous bois, non, cette main est posée là doucement sur son épaule, en se retournant, elle découvre une main d’enfant pas plus grande que la sienne. Marguerite est nez à nez non pas avec une sorcière ou un démon de l’enfer mais face à un tout jeune garçon aussi terrorisé qu’elle.

De sa main libre, il pose un doigt sur sa bouche :
– Chut ! ne crie pas, je t’en prie.

Marguerite dévisage l’enfant qu’elle voit enfin, en pleine lumière. Ses joues portent des traces noires de suie, ses genoux sont écorchés, sa tignasse blonde en bataille :
– Mais qui es-tu ? Je ne t’ai jamais vu ici au moulin, pourquoi te caches-tu ?
– Chut ! ne dis rien, je t’en prie, je suis Antonin de Bourzolles, je me suis enfui, ne sais-tu rien ? N’as-tu pas vu la fumée monter dans le ciel à l’horizon ?
– Non, que se passe-t-il ? De quel enfer reviens-tu, noir de fumée ?
– Oui, il s’agit bien de l’enfer, j’étais à Souillac avec les troupes de Baron de Gourdon.

Mon père a choisi son camp, nous sommes de la Nouvelle Religion, nous n’acceptons plus d’être saignés par ces nobles et ces prêtres qui bafouent le Seigneur. Ils paradent et dilapident en cérémonies majestueuses ce que nous arrivons si difficilement par notre labeur à arracher à la terre.

Hein ! tu es de la Prétendue Nouvelle Religion ?

-Ne crains rien, je ne te ferai aucun mal, je ne suis pas fier du tout d’avoir vu tout ce que mes yeux ont vu. Certains ont pillé l’abbaye, excédés par les razzias menées par vous les catholiques. Durant l’échauffourée, des souillagais se sont réfugiés dans l’église Saint Martin, un des lieutenants du Vicomte de Turenne, pris de folie, a donné l’ordre de mettre le feu à la poudre placée sous un pilier du beffroi. C’est horrible, les gens criaient, hurlaient. Je n’ai plus vu mon père, je me suis sauvé, je ne pouvais plus supporter de voir tant de morts, de blessés, les hommes s’enivraient du sang de leurs victimes, jamais, je n’ai voulu cela, je te le jure.

-Souillac brûle ! vous avez attaqué Souillac mais qu’avons-nous fait, nous les catholiques pour mériter pareille haine et semblable châtiment ? N’aimons-nous pas le même Dieu ? N’implorons-nous pas le même Christ ?

– Pardonne les miens, j’ai tellement honte.
– Les catholiques vont vouloir venger leurs morts, dés que vos troupes auront rejoint Gourdon et Turenne, vous, de Bourzolles allez être à la merci des nôtres, tu dois te cacher, ne retourne pas chez toi.
– Me cacher ? Mais ou ? Comment survivre et pourquoi ? Mon père a du tomber, blessé, est-il encore de ce monde ? Et ma mère ? Qui la protégera maintenant ?

Marguerite découvre devant elle, un enfant, triste, abattu, vulnérable. Elle, qui subit, chaque jour, l’injustice, la méchanceté, qui est impuissante face à ces adultes sans cœur à qui elle doit obéissance, ne doit-elle pas aider ce gamin entraîné dans cette guerre ?

– Ecoute, Antonin, ne perd pas courage, ta mère va avoir besoin de toi et de tes bras pour survivre, je vais t’aider et te cacher. Quand je garde les chèvres là haut sur les hauteurs, j’ai bien le temps et crois moi, des cachettes, j’en connais plus d’une, même si je ne les ai pas toutes visitées, je connais les entrées, personne ne monte là haut, à part quelques genévriers et des chênes, rien ne pousse. Tu verras, tu seras en sécurité, tu attendras. Au moulin, tout se sait, je te donnerai des nouvelles des tiens.

Demain, c’est la noce du fils du Maître, les invités sont de Reyrevignes où beaucoup de protestants vivent, j’écouterai et je te dirai.

– Qui es-tu, fille si courageuse de m’aider, moi le parpaillot ?

– Je suis Marguerite des Malherbes, j’ai été placé par mes parents trop pauvres pour me nourrir. Mais je ne leur en veux pas, j’attends, je me prépare et un jour, je m’en suis fait la promesse, je m’enfuirai, je partirai de ce maudit moulin où je n’existe pour personne. Allez, viens, assez parlé, cache-toi dans les fourrés, je porte ces seaux en cuisine et je viens te rejoindre, il y a tant de va et vient aujourd’hui que personne ne remarquera mon absence, je dois simplement éviter de croiser le chemin de la grosse Mathilde.

Antonin se terre dans les bosquets, il suit du regard Marguerite qui s’éloigne sur le chemin de la berge. Peut-il lui faire confiance ? Elle est catholique, il est protestant, aura-t-elle pitié de lui, dont les siens n’ont montré aucune clémence envers ceux de son église ? Mais quel autre choix a-t-il ? Il est si fatigué, des images le hantent, les cris des insurgés raisonnent sans fin dans sa pauvre tête.

Comment arrivera-t-il à oublier tout ça ? Et son père ? Où est-il ? S’il est vivant, le cherche-t-il ? Dans la matinée, profitant de l’effervescence, Marguerite rejoint Antonin. Il est au même endroit, recroquevillé, endormi.

– Antonin, Antonin, c’est moi, Marguerite, n’aie pas peur ; tiens, j’ai réussi à prendre une miche de pain, mange, tu en as besoin.

Antonin se saisit de la tourte encore chaude et en arrache des morceaux qu’il avale goulûment. Marguerite est rassurée, si grande faim montre l’appétit qu’Antonin a pour continuer à vivre malgré les épreuves qu’il vient de traverser.

– Suis-moi, Antonin, nous allons monter cette colline, je t’emmène à la « grotte de la roche percée », tu y seras à l’abri et je t’y rejoindrai dés que je pourrai.

Les deux enfants empruntent le chemin tracé par les sabots des chèvres, à mi-hauteur, ils contemplent la vallée. Les champs de chanvre nus, leurs sillons bruns hachés de pierres blanches, couvrent la plaine. Au-dessus de Souillac, des volutes de fumée noire montent encore dans le ciel.

Marguerite presse Antonin, le tocsin des églises sonne. Elle prend un petit sentier vers la gauche. Antonin découvre l’entrée de la grotte, il y pénètre.

– N’as tu pas peur, Antonin ?
– A part, une bête sauvage venue s’y réfugier, nous ne trouverons rien d’autre, ne t’inquiète pas, répond-t-il.
– Ne crains-tu pas un démon ou une diablerie ?
– Tu écoutes trop les sornettes des calottés, Marguerite, ils vous tiennent dans l’ignorance et la crainte pour mieux vous asservir. Ne crains rien, je te dis, viens.

Antonin s’enfonce dans la grotte, l’entrée est grande, il contourne quelques rochers.
–Voilà, je serai bien ici, je t’attendrai Marguerite.

A cet instant, quelques jappements s’échappent des jupes de Marguerite.
– Qu’est ce que c’est ? demande Antonin sur la défensive.
– N’aies pas peur, Antonin, regarde.

Marguerite soulève son caraco. Dissimulé dans les plis de ses vêtements, apparaissent deux yeux marron et une truffe, un petit chiot lui lèche les mains.

– J’ai crains que tu ne t’ennuies, seul ici, que de mauvaises pensées te viennent. Regarde le, je l’ai appelé « Sans Foi » parce quelle que soit la main qui la caresse au moulin, huguenote ou catholique, il est heureux, il jappe, se retourne, tend ses petites pattes et son ventre aux caresses ; il est sevré, il te tiendra compagnie et te préviendra en cas de danger, même s’il ne peut pas encore te défendre, il te protégera.

– Je n’ai besoin de personne pour me défendre, je sais me battre, je ne suis pas un lâche, répond Antonin, vexé.
– Je sais tout cela, Antonin, mais face à des hommes armés, que feras-tu ?

Antonin baisse les yeux, Marguerite pose sa main sur sa joue :
-Personne ne vient jamais ici, il faut attendre et tu pourras rejoindre Bourzolles ensuite.

Marguerite redescend par le sentier escarpé, sa longue jupe s’accroche aux bosquets épineux. En arrivant au moulin, elle butte sur Mathilde, celle-ci la suit des yeux, un moment, soupçonneuse.

– D’où viens-tu ? Crois-tu que l’heure est à baguenauder et te promener comme une princesse, cours en cuisine aider Angèle qui ne sait plus où donner de la tête.

Docile, Marguerite rejoint la cuisine. Des grosses marmites ventrues fument, chuintant dans l’âtre. Angèle a les joues si rouges qu’on la dirait prête à exploser. Des marmitons courent en tout sens, les lingères passent les bras chargés de belles nappes blanches, odorantes de lavande.

Des commis de marchands venus de Souillac déchargent les vivres et victuailles qui ne sont pas produits à la ferme : vins de Bordeaux, quelques rares épices et gâteries, dragées qui seront présentés pour montrer la richesse du Maître.

Marguerite surprend leur conversation :
-Tout est en feu !
-Des morts, des blessés !
-L’église Saint Martin est détruite !
-Il faut nous venger !
-Les Huguenots sont repartis chez eux, les bras chargés de morts !
-Qu’ils brûlent en enfer !

Marguerite épluche les légumes et ne perd pas une miette des informations qu’elle récolte. Les hommes sont en colère, leurs paroles pleines de fiel et de vengeance.

Quand trouveront-ils la paix ? S’ils apprenaient qu’elle cache un traître à leur cause, quel sort leur réserveraient-ils ? Que deviendrait-elle ? Mais peut-elle trahir Antonin ?

Au cœur de l’après midi, après s’être rassasiée d’une soupe et d’un quignon de pain dur, Marguerite profite d’un moment d’accalmie pour disparaître discrètement. Avant de prendre le sentier menant à la rivière, elle s’assure que Mathilde n’est pas dans les parages. Son instinct lui souffle de se méfier de cette mégère.

Elle escalade la colline, une cruche d’eau sous le bras, mais arrivée sur les hauteurs du plateau, alors qu’elle se hisse en s’accrochant d’une main aux rochers, elle découvre à hauteur de ses yeux, deux pieds chaussés de sabots, un bas de robe qu’elle reconnaît immédiatement, c’est la jupe de Mathilde.

La méchante femme la fixe du regard, bras à la taille, le regard mauvais.
Marguerite tremble, quel mensonge inventer pour expliquer sa présence ici, loin du moulin ? Heureusement, pour mieux s’agripper aux rochers, elle a déposé sa cruche d’eau dans les herbes, pourvu que Mathilde ne la découvre pas.

-Que fais-tu là, fainéante ? Retourne au moulin tout de suite avant que je ne trouve une branche de noisetier et que je t’en fouette pour te raviver les sangs.

Marguerite ne dit mot, heureuse de s’en sortir si facilement, elle descend le sentier à vive allure. Impossible pour elle maintenant d’échapper à la vigilance de Mathilde.

Pourvu que « Sans Foi » ait averti Antonin de la présence de Mathilde. La journée passe en d’innombrables corvées : amener du bois, frotter les parquets, nettoyer les étables, nourrir les bêtes. Les conversations ne bruissent que des événements de Souillac. D’heure en heure, les informations les plus folles circulent. On dit que les protestants en se repliant ont abattu toutes les croix des chemins.

Certains parlent de s’armer et de poursuivre ces mécréants. Maître Maure est inquiet, le mariage pourra-t-il avoir lieu ? Pourront-ils se rendre à Reyrevignes sans craindre d’être attaqués ? La nuit tombe vite en février, obligeant chacun à rejoindre son lit à l’heure des poules.

Seul, le Maître peut s’offrir le luxe de brûler une chandelle que l’on aperçoit vacillante à travers le carreau des fenêtres en verre grossier du moulin. Dans l’étable, dans la chaleur des bêtes, les servantes dorment sur un matelas commun de paille. Marguerite peine à s’endormir malgré sa fatigue. Elle imagine Antonin, sans nouvelle, seul dans sa grotte, sans rien à boire ni à manger.

La pensée de « Sans Foi » aux côtés du jeune garçon l’aide à trouver enfin le sommeil. Demain, à l’aube, elle montera là haut et tant pis si elle est punie ou battue. Le jour pointe, le coq vient juste de chanter, le froid est vif, Marguerite sort du moulin, sur la pointe des pieds. Sa cape de drap noir se fond dans le paysage.

Elle arrive au plateau à bout de souffle, les joues rouges, elle entre dans la grotte :
-Antonin, Antonin, montre-toi, c’est moi, Marguerite.

Le garçon s’approche, suivi de « Sans Foi ».
-Excuse-moi, je n’ai pas pu venir hier.
-Mais si, tu es venue, hier, j’ai trouvé ce sac avec des pommes, des noix, un morceau de lard, du pain et cette cruche d’eau à l’entrée de la grotte, c’est bien toi qui as déposé ces provisions ?

Marguerite reconnaît la cruche d’eau, c’est celle qu’elle a abandonnée hier dans les fourrés et ce sac porte la marque du moulin.

Quelqu’un au moulin est au courant de la présence du fugitif caché dans la grotte, mon Dieu ! Mais ce quelqu’un est prêt à aider le fuyard qui s’y cache, il lui a laissé de quoi se ravitailler. Mais qui cela peut-il être ?

La seule personne que Marguerite ait vue, c’est Mathilde. Mathilde saurait-elle quelque chose ? Aurait-elle compris ? Va-t-elle les dénoncer ? Pourquoi ce sac de nourriture ? Peut-être voulait-elle voir si quelqu’un le prenait ? C’est un piège !

Marguerite fait part de ses réflexions à Antonin.
-Mais non, Marguerite, tu te fais des idées, si cette personne voulait me dénoncer, je serai déjà prisonnier, je te dis que cette personne veut aider les fuyards, je ne dois pas être le seul à me cacher et avoir besoin d’aide. Ne t’inquiète pas, notre foi se propage, nous avons beaucoup d’amis.

Tout en parlant, Antonin caresse la roche, du bout des doigts, il suit un sillon creusé dans la veine.
-Qu’est ce que c’est ? demande Marguerite.
-C’est un cœur à l’envers que j’ai gravé pour m’occuper les mains et marquer ainsi mon passage, c’est un signe de reconnaissance entre nous, les protestants.

Marguerite à son tour suit de son doigt le sillon tracé. Antonin ne dit rien, il saisit les deux cailloux dont il s’est servi pour marquer la roche. Il frappe, à petits coups précis et réguliers, il trace un cœur à l’endroit pointe en bas auprès du premier cœur :
-Celui là est pour toi, Marguerite, le cœur des catholiques, parce que tu m’as aidé et que jamais je ne t’oublierai.
-Ce sont nos cœurs, Antonin, nos deux cœurs, l’un à côté de l’autre pour toujours, jamais rien ni personne ne pourra les effacer.

Lentement, Marguerite se lève, elle descend vers le moulin sans se retourner, laissant Antonin, songeur face aux deux cœurs gravés. Marguerite est prise par la frénésie des préparatifs du mariage, la matinée suffit à peine à finir les dernières tâches.

Le cortège de la noce se met en route, le marié en tête, marchant sous les quolibets et plaisanteries, la lente procession se rend à pied à Reyrevignes. Un attelage tiré par un mulet les suit, de longs branchages d’épineux entremêlés à quelques rubans le décorent. Dans le convoi, Marguerite aperçoit Mathilde mais elle évite son regard qu’elle sent peser sur elle.

Arrivés à la paroisse Sainte Madeleine de Reyrevignes, les invités entrent dans l’église. A l’autel, la mariée attend son futur époux, agenouillée devant la piéta. Le fiancé s’agenouille à côté de sa promise.

Le prêtre prononce les paroles sacrées unissant Jeantou et Pétronille, promis depuis leur enfance l’un à l’autre, devant leurs parents, parrain et marraine. La mère de la mariée est décédée en couches depuis de longues années.

Le prêtre inscrit dans le registre de la paroisse la date du mariage, les noms des mariés, parrain et marraine, puis, il fait signer les témoins. Seul, Maturin Roux, le parrain du marié signe de son nom. Les autres tracent leurs initiales sous la mention écrite par le prêtre : « n’ont pas signé pour ne savoir ».

Marguerite s’approche du registre, elle n’a jamais vu de lettres tracées, elle trouve cela très joli. Maître Maure lance quelques écus devant le porche de l’église, les enfants se précipitent, Marguerite en saisit un qu’elle tient fermement dans son poing serré. Le cortège repart vers le moulin, les chants, la cornemuse et le pipeau les accompagnent.

Les mariés arrivent au moulin dans la carriole sous les vivats. Les tables sont mises, la soupe est servie dans des assiettes en faïence bleue sur de belles nappes brodées blanches. Marguerite sert les invités, les plats se suivent. Les convives rient et chantent.

Elle a grande faim, elle attend avec impatience le moment où à leur tour les serviteurs pourront se restaurer et profiter des largesses du maître en ce jour de noces.

Marguerite dérobe une cuisse dodue de poulet, deux fromages de brebis, elle les place dans un foulard qu’elle s’empresse d’emmener à Antonin. Arrivée à la grotte cachée, elle déballe son festin devant Antonin, ravi. « Sans Foi » lui lèche les doigts quémandant l’os de ce merveilleux morceau de poulet. Marguerite rit et s’amuse des pantomimes du chiot.

Elle se sent si légère aujourd’hui malgré le travail fourni, c’est jour de fête et de bombance, demain encore ils mangeront à leur faim.

Antonin la regarde la mine austère.
-Quel dommage que tu ne puisses pas te joindre à nous, nous aurions ri et dansé ? lui dit-elle.
-Quelle histoire pour une simple union ! quelle perte de temps et quelles idioties que de se trémousser ainsi au son de la musique !

-Tu n’aimes pas danser, rire et t’amuser, Antonin ? Tu aurais du voir comme « la béluge » nous a fait rire de ses histoires !
-Tout cela est bien inutile, nous sommes ici sur terre par la grâce du Seigneur pour travailler, prier et ne pas gâcher notre temps précieux en bêtises.

Marguerite ne dit rien, décontenancée par la mine sévère d’Antonin.
Elle sort, d’une poche de sa jupe, la pièce ramassée sur le parvis de l’église.
-Tiens, Antonin, c’est pour toi, tu pourras acheter une indulgence et te faire pardonner tes péchés.

J’ai bien regardé, l’écu n’est pas rogné.
-Sacrilège, crie Antonin, en jetant la pièce, seule la foi sauve.
Marguerite ne comprend pas les réactions de son ami, sont-ils si différents ?
Comment pourraient-ils s’aimer alors qu’ils ne partagent pas les mêmes façons de penser ?

Les deux cœurs sur la pierre, pourquoi Antonin les a-t-il gravé ? La jeune fille se lève et quitte la grotte sans un regard pour Antonin. Triste et amer, elle prend le petit chemin qui la ramènera au Moulin. Soudain, elle est happée par une main qui la tire vers les buissons. Elle a juste le temps de pousser un cri avant qu’une main ferme lui couvre la bouche. Mais, l’étreinte se desserre, elle se retourne brusquement, le cœur battant, à ses pieds, étalée de tout son long, gît Mathilde.

Antonin l’a assommée :
-Je ne pouvais pas supporter de te voir partir en colère après moi, Marguerite ; j’ai voulu te rattraper quand j’ai aperçu cette femme qui levait la main sur toi, j’ai vu rouge, j’ai pris un bâton et je l’ai frappée.

Malgré ces fortes émotions, Marguerite est heureuse qu’Antonin l’ait suivie pour se réconcilier et surtout l’ait sauvée de cette mégère.
-Antonin, tu crois qu’elle est morte ? Mon Dieu ! qu’allons nous faire ?
-Ne t’inquiète pas, Marguerite, regarde, elle ouvre déjà les yeux, elle est simplement assommée. Tu la connais ?
-Oui, c’est la terrible Mathilde, je l’ai surprise, hier, à nous épier. Maintenant, elle sait, elle va nous dénoncer, qu’allons-nous devenir ?

Mathilde se tient la tête, un léger filet de sang coule le long de sa tempe :
-Ah ! misère ! tu n’y es pas allé de main morte ! ça m’apprendra à vouloir aider les autres ! Tu es là, toi, coquine ! dit-elle, en regardant Marguerite.

Marguerite devient livide à la pensée qu’elle la reconnaisse et la nomme, elle devine que Mathilde n’aura aucune indulgence pour elle et qu’elle tient sa vie et celle d’Antonin entre ses mains. Marguerite se jette aux pieds de Mathilde :

-Marguerite, pitié ! pitié ! ne dénonce pas Antonin, c’est encore un enfant !
-Ah ! Mademoiselle avec ses grands airs, réclame clémence ; Mademoiselle se croit au-dessus des autres, trop belle pour servir. Sournoise ! croyais-tu pouvoir échapper à ma vigilance ? Tes ruses, je les connais par cœur, moi aussi, j’ai été enfant, placée comme servante à l’âge où on a encore besoin de la douceur des bras de sa mère, à l’âge où on peut à peine traîner les lourds seaux, à l’âge où on tremble d’effroi, le soir sous sa maigre couverture. Qui a eu pitié de moi ? Personne !

-Ne faites pas de mal à Marguerite, c’est moi, le fautif, je suis Antonin de Bourzolles et…
-Je sais qui tu es, mon garçon, je t’ai cherché, crois-moi dans toutes les grottes, les forêts, les taillis à des lieux alentours.
-Mais pourquoi me cherchez-vous ? Si vous pensiez que je me cachais ici, pourquoi ne pas m’avoir dénoncé ?
-Moi ! vendre un des nôtres ! pour qui me prends-tu ? Une traîtresse, une félonne ?
-Comment Mathilde ? Vous êtes de la Nouvelle Religion ? s’écrie Marguerite.
-Bien sûr, petite, je vais au temple avec les autres, je n’ai rien dit pour ne pas perdre ma place,

Maître Maure m’aurait jetée dehors mais j’ai trop vu de vilenies faites par les « razés », ils pensent plus à s’amuser et s’enrichir qu’à prier. Isaac, le colporteur de dentelles m’a longuement expliqué la bible et j’ai choisi. Je connais le père d’Antonin et c’est lui qui m’a demandé de retrouver son fils, il l’avait vu s’enfuir, les yeux hagards comme fou.

-Mon père ! mon père est vivant ?
-Oui, petit, avec quelques autres, ils ont réussis à s’enfuir, emportant morts et blessés. Nous avons enterré quelques-uns uns des nôtres au lieu dit, « les trois pierres », qu’ils reposent en paix !
-Où est mon père ?
-Il se cache à Turenne, le temps que les souillagais oublient leur colère. Que Dieu fasse que l’on vive en paix, chacun libre de vivre sa foi au grand jour. Et toi ? Marguerite, ne vas pas nous donner !
-Je n’ai pas trahi Antonin, pourquoi irai-je vous dénoncer ?
-Parce que tu ne m’aimes pas !

Marguerite rougit, détourne le regard, ah ! c’est vrai qu’elle n’aime pas Mathilde et rien ne la fera revenir à de meilleurs sentiments pour elle.

-Marguerite, notre absence va se remarquer, on va nous appeler, nous chercher, il faut redescendre. Allez, hâte-toi, bougonne Mathilde.
-Antonin, que va-t-il devenir ?
-Ne t’inquiète pas pour lui, je veux prévenir les nôtres, ce soir, il sera près de son père à Turenne, à l’abri ; allez, dépêche-toi, lambine.

D’une main vigoureuse, Mathilde empoigne l’enfant qui n’a que le temps de se retourner.
Antonin lui crie :
-Je reviendrai, je te le promets.

De ce jour, Marguerite a appris la patience, elle guette sans fin le long chemin qui mène au Moulin, espérant en chaque visiteur, mendiant, colporteur ou prêcheur, reconnaître Antonin.

Elle flâne sur le bord de la rivière, rêvant, que d’un bosquet, surgisse son ami.
Souvent, elle monte le chemin escarpé jusqu’à la grotte, doucement elle passe son doigt sur les cœurs gravés dans la pierre, songeant à la promesse d’Antonin.

Mathilde est restée dure et sans pitié pour elle, sachant quel secret les lie l’une à l’autre, l’une servante de la Nouvelle Religion, l’autre aidant un fuyard.
Marguerite a attendu des jours et des jours, il n’est jamais venu.
Alors, seule, elle a décidé de tenir sa promesse.

Un matin, elle s’est levée, elle a pris quelques effets dans un morceau de toile qu’elle a noué. Sans se retourner, elle est allée sur le grand chemin qui la mènera à Turenne. A quelques mètres derrière elle, un grand chien noir, fidèle, la suit :
-En route, « Sans Foi », nous retrouverons Antonin.

Sylvie STAUB   Raconteuse d’histoires

© 2010, Reproduction interdite sans autorisation écrite des auteurs

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Les illustrations sont d’ Annette SOURZAC La font trouvée 19600 Nespouls  anette.sourzac@wanadoo.fr

Les régions naturelles

Description des terroirs

INTRODUCTION

La présentation de la géologie du Quercy sur ce site me donne l’occasion de transmettre à un large public les observations faites, au cours de mes randonnées souterraines effectuées dans ma jeunesse, puis comme géologue de terrain.

Amoureux des causses du Quercy, très jeune j’ai commencé à errer, d’abord dans les coteaux environnant Cahors, puis au fur et à mesure, en prenant un champ d’investigations de plus en plus grand, j’ai eu l’opportunité de parcourir la quasi-totalité du Quercy à la recherche d’affleurements me permettant de reconstituer l’histoire géologique dans le cadre du levé des cartes géologiques quercynoises.

J’ai rassemblé ici les observations récupérées dans mes carnets de terrains que j’ai complétées par des interprétations permettant de mieux décrypter la mise en place des paysages actuels.

Il est nécessaire de rappeler ici que j’ai profité largement des travaux effectués par les précurseurs qui ont révélé le sous-sol quercynois, je pense particulièrement : Aux 1ères observations, effectuées à l’aube du 19ème siècle, par Dufrénoy et Élie de Beaumont dans le cadre de la carte géologique de la France. Aux géologues des universités de Besançon, Marseille et Toulouse qui ont levé les cartes géologiques à 1/80 000 de Brive, Cahors, Gourdon et Montauban. Aux travaux de A. Thévenin préfigurant la géologie moderne au début du XX.ème À F. Ellenberger et M. Durand-Delga qui ont étudié la structure du massif de la Grésigne et à B. Gèze et A. Cavaillé qui ont participé à la révision des anciennes cartes à 1/80 000. Aux précurseurs de l’hydrogéologie quercynoise : E.A. Martel 1894 et 1930, qui explore et donne une description détaillée du karst quercynois. B. Gèze qui rédige en 1937 le premier travail à vocation hydrogéologique. H. Roques, A.Cavaillé et Ph. Renault poursuivent l’étude du karst quercynois de 1956 à 1974. Faisant suite à cette longue série de travaux concernant essentiellement la morphologie karstique et l’inventaire des cavités, une analyse plus poussée mais ne concernant que la bordure nord du causse de Limogne sera publiée par A.Tarisse en 1974. Cette thèse sera suivie de près par l’inventaire hydrogéologique du Quercy réalisé par J., G.Astruc et J.-C.Soulé en 1976 et 1977. On doit à A. Mangin d’avoir orienté plusieurs sujets de thèse sur le fonctionnement des aquifères du causse de Martel. Les études d’impact des travaux autoroutiers ont permis de mieux dessiner les limites du bassin versant des sources du Blagour, de l’Ouysse et de la fontaine des Chartreux.

Jean, Guy ASTRUC

 

DESCRIPTION DES TERROIRS

Le Quercy, situé sur la bordure orientale du bassin d’Aquitaine, constitue le piedmont du Massif central. L’âge des terrains formant l’ossature de ce pays s’échelonne du Primaire au Quaternaire (cf. carte géologique). Ce territoire qui ne possède pas d’unité géographique est formé par la réunion de plusieurs terroirs calqués sur les ensembles géologiques.

On peut distinguer : Le Ségala, Le Limargue et le Terrefort, Les Causses du Quercy, La Bouriane, Le Quercy Blanc, Le Pays des Serres, La Grésigne, Les grandes vallées, Les Coteaux de Monclar.

piednoir

Le monolithe du Pied Noir à proximité de Gourdon

Le Ségala au substratum primaire, occupe la marge orientale du département du Lot, dans les cantons de Latronquière et de Sousceyrac. C’est le prolongement quercynois du Massif Central. Dans lequel se localise le point culminant du Quercy à Labastide-du-Haut-Mont (783 m). Ces reliefs appartiennent à l’ancienne chaîne Hercynienne qui depuis l’Irlande traverse la France pour atteindre les confins de l’Europe orientale. Elle est représentée par un cortège de roches métamorphiques et granitiques qui s’étirent en bandes étroites du SE au NW, selon la direction armoricaine. Les petits bassins houillers de Saint-Perdoux et du Bouyssou comblés par des conglomérats, des grès et des pélites d’âge Stéphanien et Autunien témoignent du démantèlement de la chaîne Hercynienne à la fin du Primaire.

Le Limargue aux sols argilo-marneux, calcaires et gréseux liasiques séparent les causses du Quercy du Ségala cristallophyllien. Cette bande étroite de terrain s’étire entre les vallées de la Dordogne et du Lot. Dans les environs de Figeac et en bordure du massif de Grésigne, elle est désignée Terrefort comme dans le Rouergue voisin.

Les causses du Quercy forment un ensemble de plateaux calcaires, s’étendent sur environ 8000 km2, traversés par les vallées de la Dordogne, du Lot et de l’Aveyron. Celles-ci individualisent, du Nord au Sud, les causses de Martel, de Gramat et de Limogne. Ce dernier, se prolonge en Tarn-et-Garonne, jusqu’au massif de la Grésigne. Ce sont des reliefs karstiques typiques, taraudés par d’innombrables cloups (dolines) et igues (gouffres).

Dans les environs de Flaujac-Gare, Caniac-du-Causse et de Beauregard, on peut compter jusqu’à 30 dolines au km2. Ils sont entaillés par de longues vallées à écoulements épisodiques, telle la vallée de la Dame sur le causse de Gramat ou les vallées de la Valse et de la Joyeuse sur le causse de Limogne. Ici les écoulements sont souvent collectés par des ruisseaux souterrains à l’origine de puissantes émergences comme les sources du Blagour, de l’Ouysse, la Fontaine des Chartreux, le gour de Lantouy, la Gourgue de Saint-Antonin-Noble-Val ou Thouriès. L’entablement calcaire des causses du Quercy, constitué principalement par des calcaires et des dolomies du Jurassique moyen et supérieur, supporte localement des formations superficielles tertiaires, qui donne un caractère propre à chaque causse.

Le causse de Martel a piégé, dans de vastes cuvettes, des formations détritiques argilo-sableuses à l’origine de sols fertiles supportant cultures et forêts. Le causse de Limogne est partiellement couvert, aux environs de Bach, de Vaylats et de Caylus, par un important manteau de formations argilo-marneuses tertiaires qui favorise une couverture végétale contrastée. Ce caractère le distingue du Causse de Limogne septentrional, beaucoup plus aride.

A l’ouest de la vallée de la Dame, au voisinage de la vallée du Céou et dans les environs de Cahors, un réseau de combes (vallons), entaille profondément des terrains marno-calcaires kimméridgiens. Entre les combes, les interfluves sont occupés par de hautes collines convexes, aux versants abrupts souvent encombrés de castines (grèzes). Cette morphologie particulière (downs) caractérise la région comprise entre Payrac et Labastide-Marnhac.

La Bouriane est le prolongement lotois du Périgord Noir. Anciennement, la Bouriane correspondait seulement à une petite seigneurie des environs de Gourdon. Aujourd’hui, les géographes, utilisent le nom de Pays Bourian pour désigner un ensemble de micros pays : la Châtaigneraie, le Frau de Lavercantière, et des lambeaux de causses. Le trait commun de cette une zone est la présence d’une couverture détritique argilo-sableuse tertiaire nappant des calcaires jurassiques et crétacés intensément karstifiés.

La Bouriane possède une mosaïque de sols, souvent acides dans les vallées et sur les plateaux, toujours calcaires au voisinage des pechs (collines). Cette région est couverte d’une végétation abondante, presque luxuriante, contrastant fortement avec l’aridité des causses. Les vallées de la Thèze, de la Masse, du Céou et de la Marcillande issues de sources abondantes et pérennes, entaillent les formations crétacées et jurassiques leur conférant un aspect des plus pittoresque.

Le Quercy Blanc au sous-sol argilo-calcaire (Éocène à Miocène), est caractérisé autour de Lalbenque, Laburgade et Cieurac par des plateaux de calcaires lacustres, crayeux. Les vallées, du Lendou, de la Barguelonne et du Lemboulas, établies dans les marnes oligocènes sont orientées vers le sud-ouest en direction du Tarn et de l’Aveyron. Les coteaux s’étirent alors en lanières étroites et ramifiées appelées serres ; ils sont souvent couronnés par des marnes à bad-lands. La couleur généralement blanchâtre de ces terrains lacustres et palustres est à l’origine du nom de cette région naturelle.

Le Pays des Serres au substratum argilo-marneux tertiaire (Oligocène), occupe un vaste territoire qui s’étant au Nord des vallées du Tarn et de l’Aveyron. Cette région de coteaux, marque la transition entre les causses du Quercy et la vallée de la Garonne ; entre les vallées établies dans les marnes oligocènes et orientées vers le sud-ouest en direction du Tarn et de l’Aveyron, les coteaux s’étirent en lanières étroites appelées serres.

Les coteaux de Monclar au substratum argilo-marneux tertiaire (Oligocène), occupent un vaste territoire, limité au nord par la vallée de l’Aveyron et au nord-est par le massif grésignol. Cette région de coteaux au relief accusé, taillée dans les molasses argilo-marneuses tertiaires, marque la transition entre les causses du Quercy, le massif de la Grésigne et les vallées de l’Aveyron et du Tarn ; entre les petites vallées, établies dans les marnes oligocènes, ces coteaux s’étirent en lanières étroites et ramifiées, localement appelées serres.

Le massif de la Grésigne domine le Bas-Pays montalbanais, séparant les causses du Quercy de l’Albigeois. Cet anticlinal à cœur permo-triasique (Le faciès grézeux du Trias étant à l’origine du nom de Grésigne) évidé est occupé par une forêt domaniale. Sur sa périphérie, les calcaires jurassiques forment une auréole, entaillée par les gorges de l’Aveyron au Nord et de la Vère à l’Ouest ; elle est dominée par les buttes-témoins supportant les cités médiévales de Bruniquel, Penne et Puycelci. Ces pittoresques bourgades, associées au cadre naturel de la forêt, font de la Grésigne un des principaux pôles touristiques de la région Midi-Pyrénées.

Les vallées, grandes vallées sillonnées par la Dordogne, le Lot, l’Aveyron, le Tarn et la Garonne, entaillent le Quercy d’Est en Ouest tel des rubans déroulés. La basse plaine et les terrasses de ces vallées supportent des alluvions aux sols fertiles, qui unies à un climat plus doux et à la présence d’eau dans leurs sous-sols en font depuis des temps reculés une région à vocation agricole essentiellement réservée à la culture fruitière et maraîchère.

La Dordogne, aux eaux tumultueuses, a sculpté des méandres qui supportent des terrasses alluviales où se sont installées de nombreuses agglomérations. La vallée très large dans son tronçon liasique, se rétrécit considérablement en aval de Saint-Denis-lès-Martel dans la traversée des calcaires plus durs du Jurassique moyen. Le Lot aux eaux domestiquées par les aménagements hydrauliques effectués depuis le Moyen Age pour faciliter la navigation, s’écoule lentement par biefs successifs séparés par des chaussées (petit barrages). Il pénètre dans le Quercy au pied des falaises de Capdenac-le-Haut et rejoint les plaines de l’Agenais en aval de Fumel. L’Aveyron en amont de Montricoux a sculpté de splendides gorges qui se poursuivent, jusqu’aux environs de Saint-Antonin-Noble-Val.

En aval de Montricoux, la basse plaine et les terrasses étagées supportent des sols fertiles, donnant lieu à une intense arboriculture fruitière. Les villes d’Albias, Nègrepelisse et Montricoux, qui jalonnent la rivière, ont une activité commerciale et artisanale, soutenue par la proximité de l’agglomération montalbanaise. La Garonne et le Tarn séparent le Quercy de la Lomagne et du Tolosan. La confluence de ces deux vallées constitue un ensemble alluvial important qui forme la terminaison méridionale du Quercy. Les terrasses qui traduisent l’encaissement progressif de cette rivière depuis le Pliocène sont bien individualisées et constituent le lieux de prédilection pour l’agriculture

© Jean, Guy Astruc et Quercy Net

Le moulin de Floressas

Situation et présentation

La colline de Floressas est située prés de la vallée du Lot, au sud-ouest de la ville de Puy-l’Evêque, dans le synclinal du Boulvé de direction N 500 E. Celui-ci, bordé au nord-ouest par une flexure parallèle à l’axe du synclinal, s’ennoie au sud-ouest sous la Molasse de l’Agenais datée de l’Oligocène. Le paysage est celui du Quercy Blanc, dont la spécificité géomorphologique est la présence de « serres », collines ou croupes en doigts de gants, surmontées par des marnes et calcaires blancs (R. Clozier, 1930; 1940).

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Formations sédimentaires de la colline de Floressas (Lot).

Cette colline est présentée comme un affleurement très représentatif du Sidérolitique en position stratigraphique, avec la carrière de Fumel (Lot-et-Garonne).

Formations sédimentaires de la colline de Floressas (Lot). Sur le flanc sud de la colline, les faciès sidérolitiques sont bien individualisés. Ils reposent sur un substratum de calcaire kimméridgien marin et peuvent être regroupés en deux ensembles : – un ensemble inférieur (~ 40 m) de couleur dominante rouge, gréseux sablo-argileux à concrétions et nodules ferrugineux importants; – un ensemble supérieur (~15 m) de couleur plus claire (blanc-beige-rose) carbonaté, argilo-sableux conglomératique, a concrétions et/ou galets calcaires et ferrugineux.

Au-dessus, un calcaire lacustre oligocène, épais d’au moins 25 m, couronne la colline et supporte l’ancien moulin à vent. Il faut cependant préciser que le Kimméridgien n’est pas le seul substratum possible. Des îlots de Crétacé supérieur, marin, peuvent affleurer aux alentours de Floressas.

Il faut également noter sur le plateau jurassique, certains affleurements d’argiles rouges à graviers de quartz et pisolithes de fer renfermant des fragments de Rudistes.

L’ensemble rouge inférieur : Les Grès du Boulvé

Cet ensemble est globalement induré, noduleux ou granulaire. Au milieu, cette induration prend un caractère de grès (Grés du Boulvé) à allure massive, soit à débit columnaire à fentes planaires horizontales ou verticales, soit à débit prismatique à faces courbes. On y note la présence de nodules ferrugineux, dont le dégagement par le ruissellement façonne un aspect conglomératique. Sous les grés, la couleur devient ocre-jaune, et la roche friable. Au-dessus, le niveau passe au rouge sombre, contient des concrétions ou des galets ferrugineux et s’ameublit également.

Dans tout l’ensemble, un faciès tacheté multicolore apparaît sans répartition préférentielle. Les minéraux essentiels sont le quartz, la kaolinite, la goethite et l’hématite. La composition chimique moyenne montre l’abondance de silice (65 %, soit 50 % de quartz). Les oxydes d’aluminium et de fer représentent 13 %. Les grains de quartz sont en voie d’altération et se présentent toujours corrodés et fissurés. La goethite, constituant une grande part de la fraction argileuse, peut être substituée par de l’aluminium.

Les minéraux accessoires en grains sont composés de zircon, ilménite, tourmaline, anatase, rutile et feldspath. Des minéraux argileux à l’état de traces sont représentés par l’illite, la smectite. Dans les nodules et concrétions ferrugineux, goethite et hématite alumineuses sont nettement décelables. Tous ces caractères permettent donc d’attribuer le profil à argiles rouges et niveaux ferrugineux indurés (Grés du Boulvé) à des vieux profils d’altération ferrallitique.

D’autres sites sont à rattacher au profil de Floressas comme à Ségos, Riais, Le Boulvé, Fumel, Gavaudun, Cayrol, les Cabèques, Cazals et Uzech. Il est alors possible de parler, à l’échelle régionale, de véritable manteau d’altération s’enracinant dans les roches sédimentaires.

© Jean, Guy Astruc et Quercy Net

La couasne de Floirac

La couasne de Floirac (1) forme un chenal localisé en rive gauche de la Dordogne, large d’environ 30 m, séparant le lit majeur de la terrasse de Floirac ; elle est dominée par la petite falaise supportant le château de Pech d’Agudes.

Ce chenal, en communication avec la Dordogne par un étroit goulet, peut être remonté en barque sur environ 150 m. Dans le prolongement du chenal, un lit très envasé, quasiment à sec une grande partie de l’année, se prolonge jusqu’à proximité du moulin de Bascle. En étiage un léger courant issu d’une source pérenne (Q ~ 5 à 10 l/s) alimente le chenal ; d’autres sources de moindre importance, dont la grotte-source (2) (Q <0,5 l/s), jalonnent la falaise.

La falaise supportant la terrasse de Floirac entaille les marnes et les calcaires jurassiques (Toarcien, Aalénien et Bajocien). Elle est affectée de multiples diaclases et failles dont les directions principales sont : N 70° E et NS. Schéma de l’environnement de la couasne de Floirac Le long de la falaise surplombant la couasne on observe de nombreuses cavités dont les principales sont la grotte du Port-Vieux et la grotte-source.

En étiage, la profondeur de la couasne est très difficile à évaluer à cause des irrégularités du fond et de l’abondance des algues et autres encombrements (troncs d’arbres etc…) du chenal. Elle avoisine une profondeur moyenne d’environ 1 m. A une trentaine de mètres en amont de la grotte de Port-Vieux, un seuil rocheux forme un haut fond proche de quelques décimètres de la surface.

Environnement géologique

La couasne de Floirac est située dans un contexte géologique particulièrement intéressant, elle se localise dans deux unités géologiques très contrastées : Les alluvions de la basse plaine de la vallée de la Dordogne et les calcaires jurassiques formant la base du causse de Gramat.

Les alluvions de la vallée de la Dordogne.

La Dordogne, dans son parcours quercynois, coule au fond d’une vallée (altitude de 85 m au Roc à 125 m en amont de Gintrac) encaissée et très pittoresque. De Puybrun à Souillac, la rivière développe de vastes méandres dont la rive concave est dominée par de hautes falaises entaillant profondément les calcaires du Jurassique.

couasne_floirac

Les terrasses étagées, généralement localisées sur le lobe des méandres, supportent des alluvions fertiles distribuées sur trois niveaux d’accumulation : la basse plaine, la moyenne terrasse et la haute terrasse. L’épaisseur totale des alluvions de la basse plaine est de 7 à 8 m en aval (secteur de Souillac), elle dépasse localement 10 m vers Pinsac (12,5 m au sondage de Baussone), 10 m au Pont de Carennac pour atteindre exceptionnellement 20 m à l’ancienne gravière du Pont de Floirac.

Les formations jurassiques

Le Toarcien forme l’ensemble des pentes boisées ou herbacées qui séparent la falaise domérienne de la corniche des causses de Gramat et de Martel. Au voisinage de la vallée de la Dordogne, le sommet du Toarcien consolidé de bancs calcaires, forme falaise et le contact avec l’unité supérieure (Formation d’Autoire : Aalénien-Bajocien) peut se localiser une dizaine de mètres au-dessus du pied de la corniche du Causse. La partie supérieure du Toarcien, qui voit l’apparition de faciès carbonatés est bien visible, elle arme la base de la falaise au voisinage de la source de la couasne. Sur ces marnes reposent ensuite un ensemble à majorité calcaire où des Pleydellia apparaissent dès la base : au Moulin de Bascle.

L’Aalénien (formation d’Autoire, membre de La Toulzanie (3)) affleure vers la base de la falaise entre la grotte source et le moulin de Bascle. Cet ensemble est identique à celui décrit à la coupe de La Poujade (Loubressac) montre, reposant sur le Toarcien, 5 à 6 m de calcaires roux, bioclastiques à oncolites de plus en plus fréquents vers le sommet, surmontés par 8 à 10 m de dolomies macrocristallines à rognons de silex bruns. Une surface ravinée, parfois soulignée par un niveau à géodes (calcite et quartz bipyramidés) limite cet ensemble au sommet.

Le Bajocien (formation d’Autoire, membres de Calvignac et du Pech Affamat (3)) forme les grandes falaises, en rive droite et en rive gauche de la vallée de la Dordogne, entre Gluges et St.-Denis-lès-Martel. Il forme un affleurement remarquable entre la fontaine de Briance et La Croix de Mirandol. Coupe géologique de la couasne de Floirac

ORIGINALITE ET HYPOTHESE DE FORMATION DE LA COUASNE

coupe_floirac

La couasne constitue le témoin d’un ancien bras de la Dordogne qui isolait l’île de la Borgne des coteaux jurassiques et qui s’étirait entre le pont suspendu d’Ourjac et le Pech d’Agudes. L’examen des anciens cadastres et des photographies aériennes prises à quelques décennies d’intervalles, fait apparaître des changements notables, à l’échelle humaine, de la morphologie de la basse plaine de la vallée de la Dordogne.

Le lit majeur du fleuve occupe l’ensemble de la basse plaine. Les alluvions très épaisses, que nous estimons à 6 à 8 m dans la couasne, atteignent près de 20 mètres d’épaisseur en amont de Vayrac. Cet alluvionnement de la basse plaine masque presque complètement le substratum jurassique, on l’observe seulement au seuil de Copeyre (le rocher coupé), quelques kilomètres en aval de la couasne et il s’agit certainement d’un ancien méandre recoupé.

La Dordogne, à cette époque, contournait par le SE le rocher sur lequel est construit le château de Foussac et parcourrait la plaine entre les Vacants et le bourg de Floirac. Les couasnes de la vallée de la Dordogne constituent des reliquats de bras divagants de la Dordogne dans sa vaste plaine alluviale. Elles se forment par obstruction d’un bras de la rivière ; des végétaux arrachés aux berges, des levées graveleuses déplacées par les crues ou des effondrements rocheux sont à l’origine des ces obstructions qui peuvent être permanentes ou temporaires. « Généralement, cet abandon d’un bras de la rivière est lié à l’abaissement d’un seuil, par déplacement de sédiments dans un autre bras qui va devenir par-là le lit principal » (4) .

Parfois, les obstructions isolent le chenal du lit vif de la Dordogne, on est alors en présence d’une mare d’eau stagnante désignée bras-mort. En étiage, la couasne de Floirac est principalement alimentée par une source, issue vraisemblablement de la nappe aquifère des alluvions de la basse plaine, et dans une moindre mesure, par les écoulements du karst jurassique, dont certains sont bien visibles en longeant la falaise bordière.

(1) Couasne : ce mot est utilisé dans la vallée de la Dordogne pour désigner un chenal abandonné aux eaux souvent stagnantes (bras-mort).
(2) CARRIERE M. (1962) - Spéléologie de la commune de Floirac. Spélunca n° 2, p. 39-40.
(3) PELISSIE T. (1982) - Le Causse jurassique de Limogne-en-Quercy: stratigraphie - sédimentologie - structure. Thèse doct. 3ème cycle, Univ. de Toulouse.
(4) Carrière M. communication orale

La fontaine des chartreux

Elle a donné son nom à Cahors

Coincée entre les coteaux et la rivière, l’eau jaillit des entrailles de la terre par un gouffre profond de plus de 140 mètres.

Cette splendide résurgence vauclusienne, vénérée dans l’antiquité, comme l’atteste les nombreuses monnaies découvertes récemment dans sa vasque, a même donné son nom, dès le début du premier siècle, à la ville gallo-romaine Divona Cadurcorum, qui se transforma en Cahors au moyen âge.

Captée par pompage, l’eau de la fontaine des Chartreux, alimente en eau potable toute l’agglomération de Cahors et ses environs.

Hydrogéologie

La fontaine des Chartreux, et ses griffons, jaillissent le long de flexures et de failles annexes de l’accident géologique Ouest-Quercynois, de direction N 145° E, qui recoupe la vallée du Lot à Cahors.

coupe_chartreux0Le système karstique de la fontaine des Chartreux intéresse une série de terrains du Jurassique supérieur, d’âge Callovien, Oxfordien et Kimméridgien inférieur, faiblement inclinée en direction du nord-ouest.

Dans la partie aval du bassin versant, les terrains argileux du Kimméridgien supérieur se superposent en continuité stratigraphique, à l’ensemble inférieur.

bassin_chartreuxCarte du bassin versant de la fontaine des Chartreux Le bassin versant, localisé principalement au sud-est de la source, d’une surface supérieure à 300 km2, draine une grande partie du Causse de Limogne et des coteaux environnant.

Le débit de la fontaine des Chartreux, qui en étiage est d’environ 2m3/seconde, peut dépasser après de fortes précipitations 50m3 /seconde. Une série de gouffres géants, dépassant parfois 100 mètres de diamètres, jalonnent le parcours des eaux souterraines. Les plus spectaculaires sont les igues de Saint-Cirice et les igues d’Aujols.

 

© Jean, Guy Astruc et Quercy Net

Saint-Cirq Lapopie

Des conditions géomorphologiques très précises sont à l’origine de la création au Moyen Âge du village fortifié, considéré aujourd’hui comme l’un des plus beaux sites de France.

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Le bourg de Saint-Cirq Lapopie surplombe la vallée du Lot Le sous-sol du quartier de Saint-Cirq, compris entre la colline et le rocher supportant l’église et les ruines du château, est constitué par des sables argileux renfermant une nappe d’eau. Ce réservoir aquifère était exploité par les anciens habitants de Saint-Cirq par des puits creusés à l’intérieur des caves.

A Saint-Cirq Lapopie, 3 grandes étapes ont façonné le paysage : Il y a plus de 160 MA, la mer jurassique a déposé des sédiments calcaires formant le substratum du paysage, depuis le causse de Saint-Cirq jusqu’au lit du Lot. Aux environs de – 50 MA, au Tertiaire, des sables argileux ont comblé complètement une très vaste cavité qui s’étendait du causse de Saint-Cirq peut être jusqu’au niveau du Lot.

Depuis 5 à 6 MA, de la fin du Tertiaire au Quaternaire, le Lot, en creusant sa vallée, a déblayé ces sables créant le replat supportant le village et séparant ainsi du causse le piton rocheux du château.

St Namphaise créait des lacs …

Sur les plateaux quercynois arides, comme le Causse de Gramat, l’eau fut souvent un souci constant.

Aucun effort n’était ménagé pour la capturer avant sa fuite dans les profondeurs… Chaque habitation avait sa citerne alimentée par le ruissellement des toitures. Dans les pâturages les plus éloignés, de grands bassins creusés dans les affleurements rocheux compacts, recueillaient la pluie pour abreuver le bétail.

La légende attribue ces « lacs » à Saint-Namphaise : en effet cet officier de Charlemagne, devenu ermite de la forêt de la Braunhie se serait dévoué à cette tâche afin d’adoucir la vie des bergers et des brebis en saison de sécheresse, et fait creuser les rochers dans les rares endroits où l’eau de pluie n’est pas « avalée » par le sol poreux.

Son tombeau, conservé à Caniac-du-Causse, fut le but d’un pèlerinage dès le Moyen Age. On venait y évoquer le Saint pour la guérison du « mal caduc », l’épilepsie.

On peut voir «un lac de Saint-Namphaise» au nord de Livernon, en bordure de la route : c’est un miroir d’eau au pied d’une caselle.

Le Lac de Lacam ou le mariage de l’eau avec la pierre
lacamIl s’agit sans doute du site rural le plus photographié du Quercy tant il est emblématique des paysages du Causse. En effet il marie deux éléments : l’eau et la pierre, l’un trop rare, l’autre trop abondant. En effet les agriculteurs pour rendre leurs champs cultivables devaient d’abord l’épierrer : un travail fastidieux, réservé en priorité aux enfants dont la petite taille leur permettait de se courber avec – paraît-il – moins de fatigue ! Les pierres ainsi récupérées servaient d’abord à borner la parcelle par des murs, puis à construire un abris pour le bétail. Ensuite, on creusait un lac artificiel, qui profitant des pentes supérieures, récupérait l’eau de pluie et servait ainsi d’abreuvoir.

Quissac :  Le lac des places. Taillé assez profondément dans le rocher, de forme rectangulaire, avec un côté en pente douce, ce bassin est le modèle type des lacs de Saint Namphaise.

Il n’y en pas moins de trente et un sur la commune et plusieurs centaines, de tailles très diverses, sur le Causse. Ils ont toujours servis d’abreuvoir pour les troupeaux, et parfois de lavoir, quand un côté du bassin est constitué de pierres lisses et inclinées. Alimentés par des sources ou bien l’eau de pluie ou de ruissellement, ces réservoirs d’eau ont permis, pendant des siècles, à une agriculture pastorale de se développer sur un terroir réputé pour son aridité.

 

Sols et sous-sols

d'après Jean-Fourgous, A travers le Lot, 1985.

D’une superficie de 5 226 kilomètres carrés, le Lot appartient à la partie Sud du Massif Central et se rattache à l’Est à l’Auvergne. De ce dernier côté, le sol est formé de roches granitiques anciennes, avec une altitude moyenne de 600 m et le point culminant du département, le pic de Labastide-du-Haut-Mont, atteint 781 m. En bordure de ce pays montagneux – dit « Ségala », parce que seul le seigle y mûrissait – se rencontre une bande large d’environ 10 km constituée de terrains argileux et marneux. C’est le « Limargue », propre à la culture et aux pâturages, rappelant un peu certains paysages de Normandie.

Un sol analogue constitue le début de la plaine d’Aquitaine, au Sud-Ouest du département, dans le « Quercy Blanc », ainsi nommé à cause de ses collines blanchâtres. Son sol est composé de calcaire d’eau douce et de molasses. Dans le Nord-Est, touchant au Lot-et-Garonne et à la Dordogne, est la « Bouriane » , région fraîche et verdoyante où poussent le pin et le châtaignier. Le sol est formé de calcaires gréseux moins perméables que ceux des Causses.

Le reste du département – près des deux tiers de sa surface – est formé par les plateaux des « Causses » , plateaux ondulés d’un paysage plutôt mélancolique, élevés en moyenne de 300 m et aux larges horizons peuplés pour beaucoup de bois de chênes. On y distingue : dans la partie supérieure du département, au Nord de la Dordogne, le Causse de Martel ; entre Dordogne et Lot, le Causse de Gramat – le plus vaste, mais aussi le plus sauvage et le plus désolé – avec la région de la Braunhie (prononcer Brogne) autour de cette ville ; dans le Bas Quercy, le Causse de Limogne dont l’aspect est beaucoup plus méditerranéen.

Ces Causses sont formés par des terrains calcaires, très perméables, d’une surface sèche et aride, à l’herbe rare mais savoureuse pour les moutons ; le fond et le versant des vallées qui les coupent sont cultivés. Privée d’eau superficielle dans les hautes terres, cette partie du Lot est le domaine des gouffres, grottes et rivières souterraines. Absorbées par les fissures, les eaux se sont enfouies dans le sous-sol depuis des millénaires, créant des cavernes dont les voûtes se sont parfois effondrées (gouffres, igues, abîmes naturels ; cloups, vastes cuvettes creusées par dépression ou par érosion superficielle), forant des galeries, laissant après leur disparition des grottes décorées de concrétions. En d’autres cas, les eaux, après avoir circulé sous terre, reparaissent au jour sous forme de résurgences, comme à la fontaine des Chartreux, à Cahors, aux sources de l’Ouysse, près Rocamadour, ou à Font-Polémie, dans la vallée du Vers. En plus du gouffre et de la rivière souterraine de Padirac, il est possible de visiter un certain nombre de grottes accessibles au public : Pech Merle (Cabrerets), Cougnac (Gourdon), Lacave, Presque, Bellevue (Marcilhac)… Deux affluents de la Garonne, la Dordogne et le Lot, traversent le département d’Est en Ouest.

Gaston Monnerville

Gaston Monnerville est né en Guyane française, à Cayenne, le 2 janvier 1897. Excellent élève du collège de Cayenne, il est reçu, en 1912, au concours des Bourses Métropolitaines. Il quitte la Guyane et entre en classe de seconde, à Toulouse, au Lycée Pierre Fermat (Hôtel Bemuy).

Il s’y montra un élève particulièrement brillant, aussi doué pour les sciences que pour les lettres. Puis, étudiant aux facultés de lettres et de droit de Toulouse, il passe à la fois sa licence ès lettres et sa licence en droit, avec félicitations du jury.

C’est également avec félicitations du jury qu’il est reçu, en 1921, docteur en droit, après avoir soutenu une thèse sur  » L’enrichissement sans cause « . Cette thèse sera honorée d’une souscription du ministère de l’Instruction Publique et primée au concours des thèses.

 

Le fils d’Outre-Mer que je suis doit tout à la République. C’est elle qui, dans ma Guyane natale, est venue m’apporter la dignité et la culture. C’est elle qui m’a tout appris et qui a fait de moi ce que je suis. Tous les mouvements de liberté et de démocratie, à travers les temps et les pays, revêtent la même forme : l’instauration ou le respect de la loi.

L’avocat, l’homme de conviction et l’orateur

Dès 1918, Gaston Monnerville s’inscrit au Barreau de Toulouse. Reçu, en 1921, au concours des Secrétaires de la Conférence, il obtient la Médaille d’Or  » Alexandre Fourtanier » qui récompense l’un des meilleurs Secrétaires. A ce titre, il prononce, à une séance solennelle de rentrée, un discours remarqué sur  » La Critique et le Droit de Réponse « . Puis, il quitte Toulouse et s’inscrit, en 1921, au Barreau de Paris. Il entre bientôt au cabinet du célèbre avocat et futur homme d’Etat, César Campinchi (1882-1941), dont il sera, pendant huit ans, le principal collaborateur. En 1923, il est reçu au Concours des Secrétaires de la Conférence des Avocats, à la Cour d’Appel de Paris.

En 1927, il est élu Président de l’Union des Jeunes Avocats. Gaston Monnerville plaide dans plusieurs grands procès. Il s’illustre notamment en 1931, à l’âge de 34 ans, dans l’affaire  » Galmot « . Inculpés, après l’émeute provoquée, en 1928, par la fraude électorale et par la mort suspecte de Jean Galmot, quatorze Guyanais sont traduits devant la Cour d’Assises de Nantes. Avec d’autres avocats (Fourny, Zevaes et Torres), Gaston Monnerville assure leur défense. Sa plaidoirie produit un effet considérable sur les jurés qui se prononcent pour l’acquittement.

Les idées politiques de Gaston Monnerville se sont fixées très tôt et ont déterminé son engagement : il adhérera à la Grande Loge de France, militera dans les rangs du parti radical-socialiste et, toute sa vie, il consacrera une éloquence entraînante à exalter les Droits de l’Homme, à combattre le racisme et, plus tard, à défendre le bicamérisme et le Sénat. L’écrivain sera estimé, et surtout, l’orateur sera célèbre.

Le député de la Guyane (1932 – 1946) A la suite de l’affaire Galmot et du procès retentissant des émeutiers de Cayenne, ses compatriotes demandent, en 1932, à Gaston Monnerville de se présenter en Guyane contre le député sortant Eugène Lautier. Il est élu à une majorité considérable, au premier tour de scrutin, et il sera réélu de la même manière, en 1936, après avoir été élu maire de Cayenne en 1935. Il sera maire de Cayenne jusqu’aux élections de 1945, où il sera battu par Constant Chlore. Le sous-secrétaire d’Etat aux colonies Gaston Monnerville sera deux fois sous-secrétaire d’Etat aux Colonies en participant à deux cabinets successifs, l’un et l’autre présidés par Camille Chautemps (1885-1963), du 22 juin 1937 au 10 mars 1938.

La nomination d’un homme de couleur au Gouvernement ne fut appréciée ni en Allemagne, ni en Italie. Dans  » l’Azione coloniale  » du 22 juillet 1937, un article titré  » Derrière le Rouge du Front Populaire vient le Noir  » annonce la création d’un sous-secrétariat d’Etat aux Colonies  » confié au noir G. Monnerville  » et commente :  » La France a adopté une politique indigène qui, outre qu’elle est une folie pour la nation française elle-même, est un danger pour les autres nations de l’Europe, car cette action qui dépasse le cadre purement politique pour rencontrer le cadre biologique, doit être dénoncée à l’opinion publique mondiale, là où existe une race incontestablement supérieure à celle de couleur que la France voudrait implanter au coeur de l’Europe « . Dans le cadre de ces fonctions, Gaston Monnerville eut à traiter de deux dossiers importants : le fonds colonial et le conflit sino-japonais.

La Guerre

Lorsque la guerre éclate en septembre 1939, Gaston Monnerville est parlementaire, âgé d’un peu plus de quarante ans. Aux termes de la loi sur l’organisation de la Nation en temps de guerre, il n’est pas mobilisable. Mais il entend participer au combat. Avec plusieurs de ses collègues, il obtient d’Edouard Daladier un décret-loi (5 septembre 1939) qui les autorise à s’engager. Ce qu’il fait aussitôt (7 septembre 1939). Il servira comme  » Officier de Justice  » sur le cuirassé  » Provence « . Ce bâtiment participera à une croisière de guerre qui se terminera tragiquement à Mers-el-Kebir, le 3 juillet 1940. Gaston Monnerville sera alors démobilisé le 16 juillet. Durant toute cette croisière, Gaston Monnerville tiendra un important journal de bord (78 feuillets), illustré de nombreux croquis et photographies. Il y consigne, jour après jour, tous les traits marquants de la croisière : l’heure de départ, l’état de la mer, les étapes, les rives longées, les bâtiments d’escorte, la destruction d’un sous-marin… Gaston Monnerville est démobilisé le 17 juillet 1940. Il n’a donc pas pu prendre part au vote de l’Assemblée nationale (sous ce nom, on désigne alors la réunion du Sénat et de la Chambre des Députés), dans la fameuse séance du 10 juillet à Vichy.

Les historiens insistent sur le courage des quatre-vingts parlementaires, les fameux  » Quatre-Vingts  » (57 députés et 23 sénateurs), qui ont refusé les pleins pouvoirs à Pétain et ont sauvé l’honneur du Parlement, en refusant l’abaissement de la République. Mais ils oublient de rappeler que si Monnerville n’a pas fait partie des  » Quatre-Vingts « , c’est parce qu’il était engagé volontaire.

La Résistance

Dans ses Mémoires, Gaston Monnerville divise cette époque en deux périodes de résistance : – civile dans le Sud-Est (août 1940-décembre 1942), – militaire dans les maquis de Haute-Auvergne (jusqu’en septembre 1944). Démobilisé, Monnerville s’empresse de rejoindre son ancien patron, Campinchi, à Marseille, en août 1940. Ministre de la Marine, du 23 juin 1937 jusqu’à la formation du gouvernement Pétain, le 16 juin 1940, Campinchi avait été un farouche opposant à l’armistice. Préconisant la poursuite de la guerre en Afrique du Nord, il s’était embarqué, le 16 juin, sur le  » Massilia « . A son arrivée, il avait été arrêté, sur les ordres de Vichy, placé en résidence surveillée à Casablanca, puis à Alger, enfin à Marseille. Non plus que Monnerville, il n’a participé à la fameuse séance de Vichy. Tous deux partagent l’analyse qui est celle même du Général de Gaulle. La guerre ne fait que commencer ; et l’Allemagne sera vaincue. Mais Campinchi meurt le 22 juin 1941. Entre temps, Monnerville est allé protester à Vichy contre les premières mesures discriminatoires qui frappent  » les Juifs, les Arabes et les hommes de couleur « . Le maréchal répond de façon évasive ou dilatoire.

Déjà, les premiers réseaux de résistance se constituent. Monnerville entre en contact avec le capitaine Chevance et adhère au mouvement  » Combat « . En qualité d’avocat, Monnerville assure systématiquement la défense de ceux que  » l’Etat français  » emprisonne pour délit d’opinion ou d’origine raciale. Cette activité lui vaut d’être inquiété par la police et plusieurs fois arrêté. La  » zone libre  » envahie le 11 novembre 1942, Monnerville rejoint alors les maquis d’Auvergne. Il entre dans le groupe du commandant Cheval. Capitaine, puis commandant F.F.I., il y prend le pseudonyme de Saint-Just.

Gaston Monnerville et son épouse sont établis à Cheylade, dans le Cantal, du 7 décembre 1942 au 5 août 1944. Saint-Just sera un actif agent de liaison entre les réseaux de Lozère, d’Ardèche et du Gard. Le poste de commandement du groupe Cheval est établi au château de Mazerolles. (C’est là que Monnerville apprendra le débarquement en Normandie du 6 juin 1944). Les opérations s’intensifient à partir du début de 1944, lorsque le général Koenig, nommé commandant en chef des Forces Françaises de l’Intérieur, entreprend d’unifier les réseaux métropolitains. L’hospice civil de Cheylade sera réquisitionné par les F.F.I., pour servir d’hôpital militaire. La gestion et l’administration en sont confiées à Monnerville, activement secondé par son épouse (juin-juillet-août 1944). Enfin, Gaston Monnerville participe à l’opération du  » bec d’Allier « , du 7 au 10 septembre 1944. Il est démobilisé des F.F.I. à la fin de septembre.

L’Assemblée consultative provisoire et les deux constituantes

Début juin 1944, le Comité Français de Libération Nationale se transforme en  » Gouvernement provisoire de la République française « , sous la présidence du Général de Gaulle. L’Assemblée consultative provisoire, instituée par l’ordonnance du 17 septembre 1943, réunie d’abord à Alger, siège ensuite à Paris au Palais du Luxembourg, à partir du 7 novembre 1944. (Félix Gouin la préside). Monnerville en est désigné membre par la Résistance. Président de la Commission de la France d’Outre-Mer, il contribue à préparer, en concertation avec le Général de Gaulle, le futur statut et le cadre constitutionnel de l’Union Française. Lors de la séance du 12 mai 1945, il célèbre, au nom des populations de nos provinces lointaines, la victoire des Alliés. Son discours est un hommage vibrant aux soldats originaires de l’Outre-Mer, qui ont libéré la métropole.

Octobre 1945 : Premier référendum. L’Assemblée qui sera élue aura des pouvoirs constituants, mais limités. 8 novembre : L’Assemblée Nationale Constituante se réunit au Palais Bourbon. Elle élit son Président : Félix Gouin. Gaston Monnerville en est élu membre. 21 janvier 1946 : Le Général de Gaulle donne sa démission. Félix Gouin devient Président du gouvernement provisoire. 19 mars 1946 : Les quatre vieilles colonies françaises (Guyane, Martinique, Guadeloupe, Réunion) sont transformées en départements d’Outre-Mer. Gaston Monnerville a pris une part déterminante dans ce changement de statut. Il reprend également son ancien projet de création d’un fonds colonial et dépose, en ce sens, une proposition de loi en mars 1946. Le 30 avril, la loi créant le fonds d’investissement pour le développement économique et social des territoires d’Outre-Mer (F.I.D.E.S.) est votée.

5 mai 1946 : Deuxième référendum : les Français rejettent un premier projet -purement monocaméral – de Constitution. 11 juin 1946 : La deuxième Constituante se réunit au Palais-Bourbon. Monnerville en est à nouveau membre. Elle élit, trois jours plus tard, Vincent Auriol, Président de son Bureau.

13 octobre 1946 : Troisième référendum : cette fois, le projet de Constitution est adopté. Le nouveau texte n’est plus strictement monocaméral. La Constitution institue une seconde chambre : le Conseil de la République, élu au suffrage universel à deux degrés. Mais ses prérogatives sont réduites à un simple pouvoir d’avis. 10 novembre 1946 : Elections législatives à la première Assemblée nationale, en application de la nouvelle Constitution. Gaston Monnerville, qui se présente en Guyane, est battu par René Jadfard. Il est néanmoins élu quelques semaines plus tard au nouveau Conseil de la République, mais, précisera-t-il,  » en son absence et sans avoir été candidat « .

Le Conseil de la République et son Président (1946 – 1958)

Le Congrès se réunit à Versailles, le jeudi 16 janvier 1947. Vincent Auriol, Président de l’Assemblée nationale et, à ce titre, Président du Congrès, est élu Président de la République, par 452 voix ; Champetier de Ribes n’en recueille, lui, que 242. A l’assemblée du Luxembourg, Gaston Monnerville est l’un des trois Vice-Présidents désignés, dès le premier bureau définitif du 27 décembre. Il est confirmé, à ce poste, le 14 janvier. Gravement malade, Champetier de Ribes décède le 6 mars 1947. Le groupe M.R.P. se rallie à l’idée d’une candidature, peut-être plus  » technique  » que politique, et propose Gaston Monnerville qui, le 14 mars 1947 est élu au deuxième tour, par 141 voix, contre Henri Martel, qui en a obtenu 131. Le nouveau Président précisera, quelques jours plus tard, sa conception de la présidence et du rôle de la seconde chambre, dans une intervention qui sera très vivement applaudie.Les premières élections au Conseil de la République ont lieu le 15 décembre 1946. Gaston Monnerville est, en son absence, élu en Guyane. Il recueille les 10 voix des 10 votants de ce département. La nouvelle assemblée se réunit au Palais du Luxembourg, le mardi 24 décembre, et commence par procéder à la vérification des pouvoirs. Un premier bureau est élu, le 27 décembre. Au troisième tour, Auguste Champetier de Ribes (M.R.P., Président du Mouvement des Démocrates Chrétiens) est élu Président par 124 voix, contre Gaston Marrane (Président du Groupe communiste) qui en recueille 119. La session est aussitôt close. Le 14 janvier 1947, ce bureau est renouvelé. Au troisième tour, Champetier de Ribes obtient le même nombre de voix, 129, que son concurrent, Georges Marrane. Il est alors proclamé au bénéfice de l’âge. Deux jours plus tard, Champetier de Ribes sera également candidat à la présidence de la République.

Monnerville sera constamment réélu au fauteuil présidentiel, durant toute la décennie. Rappelons que, sous la IVème République, le bureau de la Haute Assemblée se présentait devant le suffrage des sénateurs non seulement à chaque renouvellement triennal , mais aussi, chaque année, au début de la session. Le Président du Sénat de la Vème République (1958-1968) Gaston Monnerville approuve le projet de Constitution de 1958. Il en a suivi de près l’élaboration. Un des principaux rédacteurs est le garde des Sceaux, Michel Debré, membre du Conseil de la République, qui entretient des rapports confiants avec son Président d’assemblée. D’autre part, plusieurs membres du Comité Consultatif Constitutionnel rendent compte régulièrement des séances de travail et des versions successives du texte. Contrairement à celle de 1946, la nouvelle Constitution est favorable à la Haute Assemblée, qui retrouve son nom de Sénat, son prestige et l’essentiel de ses anciens pouvoirs. C’est enfin une véritable assemblée qui vote la loi et contrôle le gouvernement. Le Président du Sénat voit avancer son rang protocolaire. En cas d’empêchement du chef de l’Etat, c’est lui qui assure l’intérim. Les voeux du bicamériste convaincu qu’est Monnerville ne peuvent qu’être comblés.

A l’époque, politologues et observateurs pensent que le pouvoir exécutif s’est ainsi donné les moyens constitutionnels de s’appuyer, en cas de besoin, sur le Sénat pour contenir une Assemblée nationale, rétive ou hostile. (En 1958, personne ne prévoit le fait majoritaire, qui s’affirmera quatre ans plus tard, et transformera les conditions de fonctionnement du régime). La Constitution de la Vème République comble également les voeux de Monnerville, dans l’autre domaine qui lui est cher : l’Outre-Mer. A la place de  » l’Union Française « , le nouveau pacte fondamental institue une  » Communauté  » rassemblant des pays, relativement autonomes, mais fortement liés à la France. Une assemblée spéciale est prévue : le Sénat de la Communauté. Gaston Monnerville en sera élu et réélu Président. Les débuts de la Vème République sont donc particulièrement prometteurs. Monnerville fera campagne pour les institutions nouvelles. Il expliquera dans ses mémoires comment et pourquoi viendront ce qu’il nomme  » ses premières désillusions  » : l’évolution de l’Outre-Mer, l’indépendance rapidement acquise par les anciennes colonies, l’ajournement indéfini du Sénat de la Communauté…, autant d’événements qui déçoivent celui qui, depuis tant d’années, rêvait pour la France, d’un système cohérent et stable, à l’égal du Commonwealth britannique.

degagnac

Inauguration à Dégagnac, le 15 avril 1962 aux côtés de Maurice Faure. Fonds Bouzerand

En septembre 1962, il est au premier rang de ceux qui s’opposent au Référendum instituant l’élection de Président de la République au suffrage universel. Il est réélu Président du Sénat le 2 octobre 1962 et encore le 2 octobre 1965. L’élu local du Lot Elu Président du Conseil de la République, Gaston Monnerville jugea rapidement que ses nouvelles responsabilités allaient le retenir très souvent à Paris et qu’il serait trop absorbé pour être en mesure de prendre régulièrement l’avion et suivre sur place les affaires de la Guyane.

L’échec aux législatives de 1946 l’avaient instruit des dangers de l’absence. Henri Queille en voisin et Maurice Faure sur place, lui suggèrent alors de se présenter dans le Lot. En novembre 1948, Gaston Monnerville fut élu haut la main sénateur de ce département. Puis il renforça son implantation, en novembre 1949, en devenant Conseiller général de Souceyrac. Il fut ensuite élu au conseil général en 1949, qu’il présida de 1951 à 1970. Il fut enfin élu maire de Saint-Céré de 1964 à 1971.

On doit noter que Monnerville a eu une carrière politique atypique car il n’exerça son premier mandat local qu’après avoir été élu au Parlement : c’est le député de Guyane qui devint maire de Cayenne ; pareillement c’est le sénateur du Lot qui, après 16 ans de mandat, devint maire de Saint-Céré. Certes son attachement au Lot fut, au début du moins, d’ordre intellectuel, mais, toujours scrupuleux, il fit honneur à ses engagements, aux prises avec tous les problèmes d’un département rural en cours de modernisation. Peu à peu se créa entre lui et le Lot en réel courant affectif, à côté du grand respect que lui valurent son dévouement et une urbanité non dépourvue de fermeté. Il dirigeait les débats de l’assemblée départementale comme ceux du Sénat, avec autorité, et connaissait bien les dossiers. Sous sa présidence, le Lot progressa notablement dans les domaines de la voirie, de l’adduction d’eau, des constructions scolaires, du tourisme…

A Saint-Céré l’oeuvre réalisée sous son impulsion réveilla une cité quelque peu endormie : un plan d’urbanisme, la création des « Rencontres Internationales », l’appui à Jean Lurçat… La solidarité des Lotois ne fit pas défaut à Gaston Monnerville à l’heure de sa disgrâce officielle subie par le président du Sénat, il y fut constamment et très largement réélu. Après avoir cédé la présidence du Conseil général à Maurice Faure en 1970, il continua jusqu’à un âge avancé, à participer aux manifestations locales, celles du part radical ou de la fédération des Maires du département.

Les dernières années Ayant renoncé, en 1968, à la Présidence du Sénat, Gaston Monnerville continue à exercer son mandat sénatorial pendant six ans. Puis, le 22 février 1974, Alain Poher, son successeur le nomme membre du Conseil Constitutionnel. Cette nomination surprit car, en 1962, Gaston Monnerville avait eu des propos durs lorsque le Conseil Constitutionnel s’était déclaré incompétent pour juger du référendum sur l’élection du Président de la République au suffrage universel.

Gaston Monnerville siègera 9 ans au Conseil, s’interdisant toute prise de position politique pendant cette période, estimant qu’il remplissait une fonction juridictionnelle. A l’issue de ce mandat, Gaston Monnerville a 86 ans. Il poursuit néanmoins ses activités, prononçant des conférences, participant à des émissions de souvenirs, ou signant quelques préfaces. Il décède à Paris le 7 novembre 1991, peu avant d’atteindre ses 95 ans. Grand homme politique, c’est aussi un peintre amateur de qualité qui s’endort, laissant pour témoignage de nombreuses toiles dont deux furent longtemps exposées à la Chantrerie de Cahors.

Ces textes et photographies sont extraits de : 10ème Anniversaire de la mort de Gaston Monnerville, Archives du Sénat, 2001, et de Gaston Monnerville, la passion républicaine, Conseil Général du Lot, juin 1999

 

Françoise Sagan

Françoise SAGAN, une jeunesse éternelle jamais sortie de la célébrité depuis un demi-siècle

Françoise Quoirez est née le 21 juin 1935 à Cajarc ( Lot) . Elle a une dizaine d’années quand la famille emménage à Paris, dans les beaux quartiers de la rive droite. Son père Pierre, un industriel, apparaîtra souvent dans ses interviews comme un excellent fournisseur de bons mots. Cela n’empêche pas une éducation des plus strictes et bourgeoises, dans un cadre chaleureux. «Mes parents m’ont protégée», a toujours dit Sagan. Elle entre au couvent des Oiseaux en 1947. Elle est renvoyée pour son « dégoût de l’effort ».

Elle rate le bac en 1951, après une année surtout consacrée à écouter du jazz à Saint-Germain-des-Prés où, plus tard, elle se liera à Juliette Gréco, Jean-Paul Sartre et tant d’autres. Adolescente, elle lit Gide, Camus, Sartre, Rimbaud, Proust. Elle commence à la Sorbonne des études de lettres qu’elle ne poursuivra pas. Elle signe Sagan (Pseudonyme inspiré de la princesse de Sagan dans « A la Recherche du temps perdu  » de Proust) en publiant, en 1954, son premier roman,

Bonjour Tristesse :

C’est l’histoire d’une jeune fille, Cécile, qui déteste la maîtresse de son père et qui ne sera pas étrangère au suicide de celle-ci. Sagan n’a pas encore vingt ans. Elle connaît un succès considérable (1 million d’exemplaires vendus en quelques semaines) et son livre est couronné par le prix des Critiques Pour la presse grand public, Sagan incarne alors la romancière « nouvelle vague ». En 1955 elle se rend à New York où son livre est traduit et y rencontre Truman Capote, puis elle part à Key West où elle verra Carson McCullers et Tennessee Williams, avec lequel elle se lie d’amitié : elle fera adapter à Paris sa pièce Sweet Birds of Youth.

Elle publie cette année-là son second roman : Un certain sourire. En 1957, Françoise Sagan est victime d’un grave accident de voiture qui lui vaut plusieurs semaines d’immobilisation. Elle publera en 1964, Toxiques, le journal. En 1957, paraît son troisième roman, Dans un mois dans un an. En 1958, elle épouse Guy Schoeller.

En 1959 ce sera Aimez-vous Brahms : le portrait sans complaisance d’une femme de quarante ans. Grâce à ce roman Françoise Sagan échappe aux pages « faits divers » des magazines et réussit à se faire respecter en tant qu’écrivain. En 1960 sa première pièce, Château en Suède, est créée au théâtre de l’Atelier.

Dès lors Françoise Sagan alternera romans et pièces de théâtre. Dans La Chamade ( 1965), Un peu de soleil dans l’eau froide ( 1969), Le Lit défait ( 1977), La femme fardée (1977) , on retrouve l’univers de Sagan : la fragilité des liens amoureux, l’ennui dans l’élégance , la bourgeoisie désabusée, les soirées arrosées et mélancoliques dans les boîtes de nuit, les fuites en avant en voiture de sport… Dans De guerre lasse ( 1985) et Chagrin de passage ( 1995) Françoise Sagan évoque en plus le thème de la mort.

Françoise Sagan a également écrit pour le théâtre : Un Château en Suède (1960), Les Violons parfois ( 1961), Le Cheval évanoui (1966), Il fait beau jour et nuit ( 1978), Un piano dans l’herbe ( 1994). Françoise Sagan a reçu en 1985 le prix de la fondation Prince Pierre de Monaco pour l’ensemble de son œuvre. Depuis longtemps, on avait un peu oublié ses livres pour ne retenir qu’une invraisemblable accumulation d’histoires qui n’ont fait que renforcer sa légende : goût immodéré pour la vitesse et l’alcool, cures de désintoxication, grave accident de voiture de 1957, casinos, prise assumée de stupéfiants, plèvre déchirée lors d’un voyage en 1985 en Colombie avec son ami, le président François Mitterrand, procès Elf où certains auraient tenté de lui faire jouer les espionnes etc.

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BIBLIOGRAPHIE DE L’ÉCRIVAINE : Françoise Sagan avait publié une cinquantaine de livres, dont une bonne partie parue chez Julliard. – « Bonjour Tristesse » (1954) – « Un certain sourire » (1956) – « New York » (textes, 1956) – « Dans un mois, dans un an » (1957) – « Aimez-vous Brahms » (1959) – « Toxique » (1964) – « La Chamade » (1965) – « Le Garde du coeur » (1968) – « Un peu de soleil dans l’eau froide » (1969) – « Des Bleus à l’âme » (1972) – « Il est des parfums » (1973, en coll. avec Guillaume Hanoteau) – « Les Merveilleux nuages « (1973) – « Un Profil perdu » (1974) – « Réponses » (1975) – « Des yeux de soie » (nouvelles, 1975) – « Brigitte Bardot » (1975) – « Musiques de scènes » (nouvelles, 1981) – « La Femme fardée » (1981) – « Un Orage immobile » (1983) – « Avec mon meilleur souvenir » (1984, mémoires) – « De Guerre lasse » (1985) – « Sarah Bernhardt, ou Le rire incassable » (1987) – « Un Sang d’aquarelle » (1987) – « Au marbre: Chroniques retrouvées, 1952-1962 » (1988) – « La Laisse » (1989) – « Les Faux-Fuyants » (1992) – « Répliques » (1992) –  » La Maison de Raquel Vega » (1992) – « Oeuvres » (1993) – « …Et toute ma sympathie » (1993) – « Un Chagrin de passage » (1994). – « Le Miroir égaré » (1996) – « Derrière l’épaule » (1998) Théâtre – « Château en Suède » (1959) – « Les Violons parfois » (1961) – « La Robe mauve de Valentine » (1963) – « Bonheur, impair et passe » (1964) – « Le Cheval évanoui » (1966) – « L’Echarde » (1966) – « Un Piano dans l’herbe » (1970) – « Zaphorie » (1973) – « Le Lit défait » (1977) – « Le sang des Borgia » dialogue et co-scénario avec J. Quoirez, 1978) – « Pol Vandromme » (1978) – « Il fait beau jour et nuit » (1978) – « Le Chien couchant » (1980) – « L’Excès contraire » (1987) Cinéma – « Aimez-vous Brahms » (scénario) d’Anatole Litvak (1961) – « Landru » (scénario) de Claude Chabrol, 1962) – « Les Fougères bleues » (mise en scène et scénario, 1976)

La fin de la saga Sagan « Je suis futile, mais la futilité consiste à s’occuper de choses intéressantes » avait-elle coutume de dire à François Mitterrand qu’elle recevait dans sa maison natale de Cajarc (Lot). Dans ses romans, Françoise Sagan racontait en effet avec légèreté les choses graves de la vie. Son irruption dans une Maserati rouge au cœur des événements de mai 1968 résume sans doute aussi les excès, l’oisiveté et le goût pour la provocation mondaine d’une personnalité qui, mèche blonde en bataille et cigarette au bout des lèvres, a incarné la France des années 1960 et 1970. « La gloire et le succès me délivrèrent très tôt de mes rêves de gloire et de succès » déclarait Sagan en évoquant « Bonjour tristesse », son premier roman, devenu un mythe littéraire.

De son vrai nom Françoise Quoirez, née le 21 juin 1935 dans une famille d’industriels fortunés, elle a tout juste 18 ans quand elle achève en sept semaines dans la maison de campagne de Cajarc, l’écriture du manuscrit qu’elle signe sous un pseudonyme emprunté à l’œuvre de Marcel Proust. Des millions d’exemplaires sont vendus à travers le monde (un million aux Etats-Unis) et toute une génération se passionne pour Cécile, l’héroïne éprise de liberté et hantée par la solitude, dont le destin s’achève tragiquement sur une route.

LA PEUR DE LA SOLITUDE, L’ANGOISSE DE LA NUIT

C’est justement après un accident de voiture en 1957 que bascule la vie de l’écrivaine. Ses fresques littéraires, plus appréciées du public que de la critique et des jurys de concours, attirent moins l’attention que ses frasques mondaines. Passion immodérée pour la vitesse, voyages dans les paradis artificiels revendiqués, cures de désintoxication, fraude fiscale qui lui a valu une condamnation pénale un an après avoir écopé d’une autre peine pour trafic de stupéfiants, apparition dans l’affaire Elf…

Cette vie sulfureuse et effrénée de jet setteuse cynique, les dépenses sans compter d’une fortune colossale, sont pour elle une arme contre une timidité maladive qui la fait bredouiller devant les micros et une angoisse de la nuit qui ne la quitte pas depuis son séjour au pensionnat du couvent des Oiseaux en 1947. D’ailleurs, si elle n’obtient pas son bac en 1951, c’est qu’elle préfère écouter jusqu’à l’aube du jazz et Juliette Greco à Saint-Germain des Prés et Sartre au café de Flore. Ils deviendront ses compagnons parisiens. A ses maris, l’éditeur Guy Schoeller et l’Américain Bob Wetshoff, père de son fils Denis, elle préfère ses amis, intellectuels, bringueurs ou politiques (de gauche).

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SES ÉTÉS À CAJARC

Mais plutôt qu’à Saint-Tropez, c’est à Cajarc qu’elle passe le mois d’août. Françoise Sagan a largement contribué à la renommée de cette bastide lotoise blottie au cœur de son méandre. Rituellement, François Mitterrand rendait visite à l’écrivaine sur les bords du Lot. « Elle est tout simplement saganesque » commentait Mitterrand à son propos. Lecteur assidu de l’œuvre et fasciné par une personnalité qui correspondait sans doute à l’idée qu’il se faisait de la vie et de l’être humain, il la conviait régulièrement dans le cercle de ses amis littéraires et dans ses déplacements. Elle a d’ailleurs failli laisser la vie en Colombie en 1985 lors d’un voyage présidentiel, victime d’un décollement de la plèvre. A partir de cette époque, ses oeuvres rencontrent moins de succès. Ses déficiences pulmonaires et chaque disparition d’ami l’affectent tout autant. Malade, ruinée, plus présente à la chronique judiciaire qu’à la rubrique mondaine, elle vend ses biens, se fait héberger par ses amis et doit sa liberté à des protections politiques.

En 1998, elle publie son dernier livre (Derrière l’épaule). En dehors de ses fans, il passe inaperçu. Elle s’est éteinte ce 24 septembre 2004 à Honfleur à 69 ans, victime d’une embolie pulmonaire, achevant sa lutte contre la solitude. Le chef de l’Etat, de nombreuses personnalités de droite comme de gauche ainsi que du monde littéraire ont salué cette « figure éminente », « flamboyante et mélancolique ». Pascal Jalabert – La Dépêche du Midi, 25/09/2004

MARDI 28 SEPTEMBRE 2004

Ses proches, amis et voisins ont rendu un dernier hommage à Françoise Sagan. L’écrivain a été inhumée mardi après-midi dans le petit cimetière du hameau de Seuzac, où se trouve le caveau de sa famille, à quelques kilomètres de sa ville natale de Cajarc (Lot), en présence d’environ 200 personnes. Le gouvernement français était représenté par le ministre de la Culture et de la Communication Renaud

1987

Donnedieu de Vabres et la ministre de l’Egalité et de la Parité professionnelle Nicole Ameline. Juliette Greco, Pierre Bergé, l’écrivain Bernard Frank étaient aussi venus rendre un dernier hommage à celle qui fut célèbre dès l’âge de 19 ans avec son roman « Bonjour tristesse ». Aux côtés de son fils Denis Westhoff et de sa soeur Suzanne, une cinquantaine de personnes parmi les plus proches amis et habitants du hameau avaient pu pénétrer dans l’enceinte du cimetière.

Sous un doux soleil, un brève bénédiction religieuse a précédé l’inhumation de Françoise Sagan. Celle-ci repose désormais dans une tombe à côté d’une de ses plus proches amies, face au caveau où sont enterrés ses parents et son frère Jacques Quoirez. Brigitte Bardot, qui n’a pu se rendre aux obsèques à cause de son état de santé, a estimé que Françoise Sagan a été « terrassée par la maladie et les impôts ». Elle confie que Sagan et elle « étaient comme deux soeurs jumelles reliées par nos destins ».

Christian Signol

Christian Signol est né en 1947, aux Quatre Routes, un hameau du Quercy blotti au pied des causses de Martel et de Gramat.

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Le petit garçon mène une existence heureuse entre ses parents et ses grands-parents. Son univers s’étend de l’école communale (dont il dévore la bibliothèque) à la campagne environnante. Les moissons, les vendanges, la cueillette des champignons, les parties de pêche l’été sur la Dordogne sont autant de «bonheurs d’enfance».

A onze ans, il est mis en pension au lycée de Brive. Il vit comme un drame cet éloignement du pays natal. Il dira plus tard : Cette déchirure a fait de moi un écrivain. Après des études universitaires de lettres et de droit, Christian Signol débute dans la vie professionnelle comme rédacteur administratif à la mairie de Brive.

Christian Signol est, avec Claude Michelet, l’écrivain le plus populaire de l’Ecole de Brive. C’est en 1984 qu’il a publié son premier livre, Les Cailloux bleus. Au rythme d’un roman par an ensuite (dont la magnifique trilogie de La Rivière Espérance), il a bâti une œuvre baignée par le parfum de la terre.

Il est heureux de se dire l’héritier d’une longue ligne de gens courageux et fiers, originaire du Périgord par son père et du Quercy par sa mère. D’où des personnages d’une ampleur et d’une sincérité plus vraies que nature où le poids naturel des racines écrase les modes et le parisianisme le plus frelaté.

+ d’information sur Wikipédia

«Homme de terroir, Christian Signol anime son pays d’une vie qui doit autant à la terre elle-même, à ses couleurs, à sa lumière, au cortège charnel de ses courbes et de ses senteurs qu’aux hommes, aux familles, aux métiers dont il sait la peupler. Ce contour insuffle aux destins anonymes, une ampleur et une sincérité, une humilité, aussi, qui sont des choses rares. C’est cet art du simple et du vrai, ce poids naturel des racines qui font le charme et le succès de ses livres.»

Le Figaro

 

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