La mémoire est un trésor qui prend de plus en plus de valeur avec le temps à condition de la fixer, d’une manière ou d’une autre. De ce point de vue, Roger Lagrèze, 93 ans, l’un des doyens de la commune, est une mine d’or. Ses souvenirs n’ont pas une ride. Il les rapporte fidèlement avec une précision étonnante, un humour, une malice et un style savoureux qui font le sel de ses « Petites histoires vécues d’Arcambal », comme il les appelle lui-même, écrites à partir des années 1990.
Les plus âgés vont retrouver au fil des pages le parfum d’un univers enfui, pas toujours rose mais tellement humain. Les jeunes générations, même les enfants, ne devraient pas avoir de mal non plus à emprunter cette formidable machine à remonter le temps. Elles pourront percevoir la respiration, toucher la chair du monde rural d’alors. Il avait son rythme, ses valeurs, ses codes, un sens aiguisé de l’économie. Roger Lagrèze balaie d’un regard amusé ces feuilles mortes tombées d’un arbre qui a porté de beaux fruits et dont, peu ou prou, nous sommes quasiment tous les rameaux, au sens généalogique du terme.
Saisie un peu par hasard du manuscrit déposé en mairie, l’association Pays d’Arcambal a estimé qu’il était de son devoir, plus encore que dans la logique de ses missions, de porter le texte à la connaissance du grand public. Avec l’accord de l’auteur et de sa famille, elle a fait préparer l’édition des « Petites histoires d’Arcambal ». La voici qui sort toute chaude, comme le pain du boulanger d’Arcambal, héritier du four qui a nourri les cohortes d’ouvriers affectés à la construction du chemin de fer, dans les années 1880. Grâce à ce livre, de facture aussi modeste que le travail du rempailleur de chaises d’autrefois, on peut encore entendre l’appel du rémouleur ambulant, voir passer le lourd convoi du roulier, s’extasier devant l’ingéniosité du raccommodeur de faïences ou les acrobaties de l’émondeur de peupliers, suivre le médecin en gibus dans sa tournée des campagnes…
Tous doivent à la solide mémoire de Roger Lagrèze de ne pas sombrer tout à fait dans le pays des ombres. Pour cela l’auteur mérite toute notre reconnaissance.
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