Il y a quelques années, descendant vers midi la grande avenue de Cahors en quête d ‘une librairie qui vende un ouvrage consacré aux violences paysannes du début du XIXe siècle, je rencontrai sur le seuil de son magasin Je libraire ; quoique pressé de fermer boutique pour aller déjeuner, cet homme, sympathique et cultivé, voulut bien me servir et répondre à mes questions. Quand je lui fis par! de mon projet de travailler sur les Cent-Jours en Quercy et peut-être même sur une période un peu plus large, il me répondit, peut-être avec regret : « Bah !, ici, il ne s ‘est rien passé à l ‘époque qui vous intéresse… » Voici ma réponse à ce libraire… On pense sans doute, à Cahors et dans le Lot, qu ‘il n ‘y a rien à dire sur cette période et que tous les faits marquants se sont produits ailleurs, mais s ‘est-on donné la peine de consulter les abondantes et précieuses archives du département, des Archives nationales et des municipalités ?
J ‘ai également entrepris ce travail de recherche et de rédaction pour répondre, un peu tard ii est vrai, au souhait de notre regretté médiéviste, M. Jean Lartigaut, qui m ‘avait incité à travailler sur cette période historique, très mal connue parce qu ‘insuffisamment étudiée, qui va de la fin du Premier Empire à la Révolution de Juillet.
Comment ne pas trouver captivante une époque qui aura connu quatre « tremblements de terre » successifs, essentiellement dans les domaines militaire et politique, avec des soubresauts, répercussions et « répliques » dans toutes les manifestations et activités de la vie sociale ?
Premier séisme : Napoléon abdique en avril 1814 : c ‘est la fin du régime impérial, lui-même issu du système révolutionnaire.
Deuxième séisme : la première Restauration, qui ressuscite le gouvernement monarchique et ramène les Bourbons, dure moins d ‘une année et s ‘effondre en mars 1815 lors du retour triomphal de l ‘île d ‘Elbe de l ’empereur banni.
Troisième séisme : les Cent-Jours, qui voient renaître un système impérial plus libéral, se terminent par le désastre de Waterloo. Napoléon, qui a sollicité de se retirer en Angleterre, est exilé à Sainte-Hélène où il mourra en 1821
Quatrième séisme : Dans la foulée de Waterloo et à l ‘abri des baïonnettes étrangères, les Bourbons reprennent le pouvoir et rétablissent définitivement (du moins le croient-ils) la royauté en France
Chacun de ces changements brutaux dans la direction du pays s ‘accompagne évidemment de révocations, destitutions, déplacements du personnel dirigeant et de tentatives d ‘épuration de tout ce qui peut représenter une influence… Je dis bien « tentatives » car, en fait, beaucoup de maréchaux, généraux, ministres, évêques, préfets, sous-préfets, sénateurs, députés, artistes, ont senti Je vent tourner et se sont assuré des arrières. Sans avoir le moindre problème de conscience, reniant sans sourciller les serments prêtés hier au gouvernement en place, ils prêtent pleine allégeance à la nouvelle autorité, surtout si elle peut garantir les droits acquis, voire même leur assurer de nouveaux privilèges. Ce n ‘est pas pour rien qu ‘un des ouvrages les plus lus et appréciés à cette époque a été le fameux « Dictionnaire des Girouettes » d ‘Alexis Eymery où chacun pouvait reconnaître une personnalité bien en cour, dotée d ‘une extraordinaire flexibilité…
Je ne cacherai pas au lecteur que, parmi tous les documents, on ne peut plus officiels, qui me sont passés sous les yeux, certains donnaient des hommes une image si déplaisante que j ‘aurais préféré ne pas les trouver. D ‘autres, au contraire, me prouvaient qu ‘il suffisait parfois d ‘un individu au caractère ferme et bien trempé pour retourner complètement une situation critique… Que de fois n ‘ai-je pas constaté à travers l ‘abondante documentation des archives nationales, départementales et municipales que tel personnage influent, comblé d ‘or et d ‘honneurs par le régime en place, s ‘effondre lamentablement comme une loque à la première bourrasque venue, alors que tel individu du commun, sans appui, sans ressources ni relations, se comporte dans la tourmente en véritable capitaine, faisant face à la tempête et maintenant droit le cap et ferme le gouvernail…
Ceci est une relation honnête, non exhaustive mais forcément partielle d ‘événements, présentant selon moi un certain intérêt, survenus dans le Lot entre 1813 et 1830, de la fin du Premier Empire à la Révolution de Juillet. Chacun pourra éventuellement contrôler l ‘exactitude des faits avancés en se reportant aux références indiquées au bas de chaque paragraphe. Je me suis efforcé d ‘être impartial à l ‘égard des uns et des autres, mais l ‘est-on jamais. L ‘homme ne sera jamais parfaitement objectif : il a sa personnalité, sa sensibilité et sa conscience.
Je le dédie à la mémoire de Guillaume Aussel, mon plus lointain ancêtre paternel connu, humble travailleur de terre, demeurant, dans la première moitié du 18e siècle, à Graule Basse, paroisse de Carlucet, et à celle de mon arrière grand-père maternel, Jean Tapie, né le 3 germinal An XI de la République française (24 mars 1803) au village de Grandroques, commune de Linars, de Pierre Tapie, propriétaire, es de Marguerite Fourastié, son épouse. Agé de 10 ans lorsque débute mon récit. Jean Tapie en avait 27 en 1830 quand il prend fin ; lors de la Révolution de juillet, il servait comme fusilier au 9e régiment d ‘infanterie de ligne, apprenant avec le métier des armes celui de tailleur d ‘habits, état qu ‘il transmettra à son fils Pascal, mon grand-père maternel. Tout en étant contemporain des faits de cette courte période de 17 ans, si riche en bouleversements militaires et politiques, en a-t-il pris conscience ? : c ‘est fort douteux vu l ‘extrême modestie de son origine et le peu d ‘instruction qui fut probablement son lot comme celui de millions d ‘autres.
Laisser un commentaire