L’histoire de la création plastique du XXe siècle est marquée par certaines figures indépendantes qui, en opérant une osmose entre le vécu et l’expression artistique, sont parvenues à enrichir et à renouveler leur langage. Parce qu’ils étaient à la fois acteurs et spectateurs de leur époque, la plupart de ces artistes ont su aiguiser le regard qu’ils posaient sur le monde et sur eux-mêmes, tel un troisième œil secret, tendu vers l’extérieur et l’intérieur; observateurs et penseurs, ils ont imprimé à la production plastique un autre élan, une force singulière.
Pablo Picasso, Marcel Duchamp, Joseph Beuys, Antoni Tàpies ou, pour puiser des exemples dans la génération suivante, Jean-Michel Basquiat, Francesco Clemente, Georg Baselitz – et tant d’autres – ont ainsi fait figure de médiateurs entre le connu et l’inconnu, entre le répertorié et le non-classé; en contribuant à délivrer l’art du cercle élitiste des « spécialistes », ils l’ont rendu plus accessible à un public de non-initiés. La relation entre l’art, l’individu et la société est devenue la matière même de leur travail, l’objet même de leur investigation. Une souplesse d’esprit, faite de tolérance et de jugement critique, a présidé à leurs créations. Chamizo appartient à cette famille d’artistes.
Du vide à la création : Didier Chamizo naît en 1951, à Cahors, d’un père espagnol et d’une mère quercinoise. Dès son plus jeune âge il est confronté au sentiment et à la notion d’absence : absence de l’image paternelle – ses parents sont séparés – et absence de références culturelles stables, sans doute en raison de sa double appartenance. Si ce sentiment d’absence, ou de vide, favorise parfois l’apparition de pulsions destructrices, chez Chamizo destruction et création constitueront un antagonisme stimulant. L’équilibre viendra du verbe. « Au commencement était le Verbe », dit le texte biblique; dans le cas de l’artiste, la réponse à cette absence est le verbe, le vide sera comblé par le logos, conçu comme expression plastique et comme écriture.
Didier Chamizo commence très tôt à dessiner, à peindre et à composer des poèmes. Il manifeste ainsi sa propre présence, il se recrée, renaît à travers le langage noétique de ses mains qui dessinent et écrivent des vers, à travers le poiein, selon l’acception générale et étymologique du terme – en grec, poiein, dont le mot « poésie » dérive, signifie « faire », « fabriquer », « créer » et, concernant l’activité de l’artiste, « inventer », « composer des vers », « représenter », « peindre ».
À l’adolescence, Chamizo compte à son actif une production importante de peintures et de poèmes; en 1968, âgé de dix-sept ans à peine, il expose à la Maison de la culture de Saint-Étienne. Dans ces toutes premières œuvres apparaissent les caractéristiques essentielles de son langage: l’amour de la couleur et la qualité, la précision du dessin, le besoin impérieux d’exprimer ce qui lui tient à cœur sur un mode intense et généreux qui embrasse le rêve, l’absurde, la fonction subversive du logos, enfin l’attitude critique face à la société et à l’existence humaine.
Les rapports entre l’individu et le pouvoir, l’efficacité de la communication, le sens de la vision – c’est-à-dire ce que l’on voit et ce qui se voit : tels sont les questions posées, les principaux thèmes abordés par son travail au cours de cette première période, tels sont les fondements de son expression plastique.
Une parodie du pouvoir : Dans Le Flic bleu (vers 1969), l’intention parodique de l’artiste est manifeste : toutes les figures qui dansent comme des farfadets, comme des créatures de cirque, semblent tourner en dérision une scène dont le protagoniste est un flic. L’œuvre est un équilibre parfait entre image onirique et discours plastique.
Nous sommes dans les années 68-69, et Didier Chamizo est attiré par l’esprit du temps, par le renversement des valeurs traditionnelles, par le mot d’ordre : « L’imagination au pouvoir! » La subversion est un refus créatif, et l’artiste le prouve dans son œuvre plastique: les figures participent les unes des autres, s’interpénétrant de telle sorte qu’aucune n’est achevée; elles semblent être des micro-figures mais composent en fait les micro-facettes potentielles d’une seule et même figure, en métamorphose constante – ce qui est proche de la réalité humaine. L’emploi de différentes nuances de bleu, du plus foncé au plus clair, montre encore que, chez Chamizo, couleur et figuration sont polymorphes ou en état de mutation constante.
L’expression « big-bang » utilisée par Jacques Bouzerand à propos de l’abstraction lettrique de Chamizo pourrait également s’appliquer à la figure et à la couleur que l’artiste fait exploser, manifestant ainsi son parti pris critique à l’égard du « flic », ou application de la loi par la force.
Ce que l’on voit – ce qui se voit : En pénétrant dans la figure et dans la couleur, l’artiste sonde les possibilités du champ visuel du tableau. De cette entreprise d’exploration résulte une problématique : celle de ce que l’on voit, de ce qui se voit ou de ce qui apparaît. Ce processus, qui tient de l’esprit autant que du regard, concerne en même temps la relation entre l’œuvre d’art et le spectateur, et relève de la communication – cette question revêt une importance majeure dans son travail.
Son Autoportrait aux Ray-Ban, peint en 1969, illustre ce propos. On ne voit qu’une moitié de son visage, avec des lunettes où se reflète un homme prenant une photographie.Ce dernier est dissimulé par son appareil; on n’aperçoit donc les yeux ni de l’un ni de l’autre. Cette disparition du regard est un signe qui invite à s’interroger sur ce que l’on voit et ce qui se voit. Cette interrogation ne cessera de préoccuper l’artiste: sa réflexion sur le rapport entre la vision extérieure – ce qui stimule le nerf optique – et la vision intérieure est caractéristique de son langage plastique axé sur le vu et le vécu du monde.
Un langage bio-culturel : Chez Chamizo art et vie sont en synergie. À l’instar de ses poèmes, ses œuvres picturales sont liées à son existence. L’obstination avec laquelle il s’efforce de pénétrer les choses, de passer du dedans au dehors et inversement, confère à ses créations non seulement le caractère autobiographique du vécu mais aussi la qualité authentique de ce vécu. Il ne se contente pas de décrire les situations du dehors, il les regarde de l’intérieur, pénètre leurs aspects invisibles, souvent à la manière directe de la photographie, jamais sur le mode narratif traditionnel. Cette combinaison des fonctions biologiques et des opérations picturales conduit à la création de ce que j’appelle une langue bio-picturelle, construite sur l’expérience vitale de l’art.
Les cellules de la création Mai 68 inaugure une période durant laquelle l’art comme produit esthétique est remis en cause. « L’art est mort », prônent nombre d’artistes, et la notion de « beaux-arts » est dépassée. Cette contestation s’exprime entre autres par l’action sociale directe. Didier Chamizo fait partie des contestataires: il sacrifie trois cents peintures, brûle un millier de dessins et de poèmes, se révolte contre le système; il soutient en Europe des groupes révolutionnaires. Il est arrêté et condamné à une peine de prison ferme de six ans.
De la maîtrise du dessin, du travail de la couleur et de l’analyse de la figure qui l’ont occupé pendant les années 70, le jeune artiste passe à l’expérience de la prison. Mais sa cellule n’est pas un lieu de passivité, de renoncement ou d’inertie; elle est au contraire l’incubateur de sa révolution. L’espace clos de la cellule lui révèle les nécessités vitales de la création. Sans cesser de dessiner, Didier Chamizo consacre désormais, sous l’égide du Comité d’action des prisonniers, l’essentiel de son activité à améliorer les conditions de détention et à obtenir des droits destinés à rendre plus humaine la vie carcérale.
Une fois encore, l’absence du monde le pousse à la création. En quête de lui-même, il observe les relations entre l’individu et la société, et c’est dans cette ascèse imposée que se définissent les conditions de la transformation de sa peinture. Parce que c’est là que son regard s’aiguise et que sa sensibilité s’exerce, parce que c’est là qu’il cultive sa tendance à renverser – avec l’arme du langage – les valeurs établies. La cellule devient un microscope à la précision duquel il soumet le monde.
À sa libération, en 1978, Didier Chamizo s’enthousiasme à l’idée de reprendre le rythme d’une existence quotidienne; il continue à peindre. Cette reprise d’une vie sociale dure jusqu’au début des années 80, où une nouvelle accusation le conduit en prison. Didier Chamizo vit un cauchemar, mais, inflexible, déterminé, d’une nature et d’un caractère irréductibles, fort de ce courage qu’inspire la cause humaine, il « décide que seul son corps sera enfermé, écrit Laurence Revais en 1997. L’acharnement qu’il met à peindre lui permettra de vivre bien au-delà des barreaux ».
La liberté derrière les barreaux : La peinture devient une fois encore le véhicule de sa communication avec le monde. Comment crier son innocence? Que faire pour attirer l’attention des gens du dehors? Où puiser la force de résister à l’épreuve de la prison alors qu’il n’en accepte pas la réalité? L’acte de peindre est sa réponse.
Chamizo crée des œuvres accessibles, fortes, aptes à accrocher le regard, et il parle de son vécu tout en l’inscrivant dans une thématique plus large. Cette union des dimensions individuelle et collective est féconde; artiste séquestré, rêvant de liberté dans sa cellule, il peint des tableaux qui figurent ladite liberté et qui en font le symbole même de l’humanité.
À partir de 1985, Chamizo inaugure une série de tableaux qui reproduisent la célèbre statue de Bartholdi, La Liberté éclairant le monde. Tout détenu qu’il est, il parvient à envoyer son travail à l’exposition organisée pour fêter le bicentenaire de l’indépendance des États-Unis. L’opération connaît un vif succès. Intitulée « Liberté », cette exposition itinérante parcourt l’Europe. Pourtant la réussite de Chamizo n’est pas seulement une affaire médiatique: son travail qui a pris une orientation artistique nouvelle s’appuie sur des changements profonds dans le domaine pictural.
En effet, les années 80 sont une époque durant laquelle les artistes s’efforcent, à l’échelle internationale, de redonner à la peinture son « honneur perdu » tout en satisfaisant aux impératifs d’une communication directe. Derrière ses barreaux, Chamizo s’est déjà engagé dans cette voie. Mais la différence est fondamentale car la voie choisie n’est pas le produit d’une idéologie esthétique et culturelle mais le fruit d’un besoin vital. Chamizo ne se livre pas à des jeux plastiques, il use de son langage pictural pour crier, fustiger, critiquer, cherchant à établir un dialogue avec le monde dont seule la rumeur assourdie, filtrée, parvient jusqu’à la prison. Il adopte des grands formats afin de ne pas passer inaperçu et choisit, en quête d’échappatoires et d’exutoires, des thèmes, des titres et des images provoquant le regard. Deux tableaux de cette époque sont caractéristiques de l’esprit qui l’anime : la Liberté derrière les barreaux et la Liberté de dos.
Dans le premier d’entre eux, la Statue de la Liberté est représentée derrière des barreaux blancs, symbole d’une expérience individuelle prenant une valeur collective. La peinture « photographique » de Chamizo ne se réclame d’aucun des courants en vogue auprès des médias et du marché international, ni du néo-expressionnisme, ni du néo-fauvisme, ni de la transavanguardia, ni encore de la figuration libre. Chez lui, tout est lié à sa personnalité propre – l’invention, l’information, l’histoire, le signe, l’utilisation de la figure -, et c’est pourquoi son œuvre est indépendante, inclassable, inventive, libre, diversifiée, teintée d’humour, d’ironie, voire de sarcasme.
Dans la seconde œuvre, la Statue de la Liberté est vue de trois quarts dos, tournée vers le fond noir du tableau. L’image est proche d’un négatif photographique : la Liberté est au laboratoire, avant d’être développée, dans la chambre noire, c’est-à-dire dans sa dimension réelle et essentielle, telle que la voit Chamizo, et non dans une dimension théorique.
Du même esprit témoigne Révolution (1989), créée à l’occasion du bicentenaire de la prise de la Bastille. Chamizo est nommé lauréat du bicentenaire par le ministère de la Culture. Ce détenu qui vit l’actualité à travers l’information et les témoignages extérieurs, à qui est refusé le droit d’assister au vernissage de ses expositions, parvient malgré tout à lancer ses messages. L’image morcelée de la Liberté derrière les barreaux est bien sûr une métaphore de lui-même, morcelé par les barreaux de sa cellule. L’artiste transpose l’obstacle, l’absence ou le vide en matière à créativité.
Une restructuration de l’identité : La fin des avant-gardes, la nécessité de réexaminer l’histoire d’un siècle qui s’achève, mettant aussi un terme à un millénaire: tels sont les débats qui agitent les années 80. Chamizo est au cœur de cette réflexion, mais toujours à distance; à l’image d’une personne handicapée qui souvent développe un autre sens afin de compenser celui qui lui manque, l’artiste déploie une sorte de vision noétique qui lui permet de prévoir ou de pressentir ce que les autres verront plus tard, à travers la mode et la réalité sociale. Sachant dépasser son enfermement, il s’en échappe, comme bon lui semble, grâce à la pensée, à l’observation et à l’imagination. Si la prison est une épreuve réelle, elle est aussi une métaphore linguistique.Ces barreaux, qui rompent l’unité et l’intégrité de la figure de la liberté comme ils brisent celles du moi dans sa forme extérieure – un moi à la fois individuel et collectif -, le contraignent à restructurer son identité.
Dans un tableau de 1990 intitulé Contrôle d’identité, la figure est si confuse que son anatomie et ses contours sont difficiles à discerner. Ce « contrôle d’identité » est une autre manière de représenter la liberté dans sa dislocation. Dans cette œuvre, comme dans l’ensemble de la production de Chamizo, cette rupture de l’identité mène à la restructuration d’un moi invisible et non identifiable qui soudain se manifeste à travers l’élaboration d’un langage plastique fécond. La force des couleurs, l’interpénétration des lignes figuratives confèrent à ce Contrôle d’identité une vitalité intense, ce que souligne Jacques Bouzerand : « Chamizo sait faire chanter l’acrylique, l’ombrer, le mettre en contradiction, le juxtaposer, le faire vivre. »
Vers une nouvelle conscience de soi : La relation entre l’individu et la société doit être ré-envisagée. À cette époque, Chamizo étudie la Déclaration universelle des droits de l’homme, où il lit: « Tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne. » De ces trois biens inaliénables ne reste que la vie; il s’y accroche, il veut en jouir le plus possible, en parler à travers ses œuvres: « ce qui m’intéresse le plus, dit-il, c’est la confrontation de l’être humain à une situation donnée, et les droits de l’homme sont préoccupants sur cette planète. La plupart de ses habitants ne savent même pas ce que ça veut dire, et ils sont confrontés à des situations inhumaines. Les droits de l’homme sont une utopie à laquelle on se réfère de temps en temps, et même dans des pays comme la France ou l’Allemagne ou les États-Unis, eh bien, il y a de grosses bavures ». La Déclaration universelle des droits de l’homme, il la trouve creuse. Tandis qu’il écrit et réécrit en plusieurs langues « Tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne », il ressent le besoin de casser les mots, montrant ainsi que, le plus souvent, ils ne possèdent aucun sens dans la vie courante.
Or, on ne peut cogner sur les mots codifiés et sur le langage connu sans remettre en question le système de communication, lequel ne passe pas uniquement par les mots mais aussi par les médias. Chamizo est bien placé pour le savoir: en prison, les nouvelles parviennent avant tout par la télévision. Dès lors il n’hésite pas à peindre des télévisions; les « figures » et les « mots » colorés sortent de l’écran de ces postes qu’ils recouvrent entièrement, rendant vains l’image et l’outil même de la communication, son support. Comme si ce que l’on voyait ou ce que l’on entendait n’avait aucune importance, comme si tout était manipulé: « c’est dans cet esprit que j’ai travaillé sur des télévisions que j’ai volontairement tuées, cassées, écrit l’artiste, et je les ai sédimentées, pour qu’elles ressemblent à des sortes de sculptures inertes en ciment ».
Un match de boxe : Chamizo assène des coups à la phrase et à sa syntaxe, il boxe le mot et l’envoie balader aux quatre coins du ring. Dans sa chute le mot vole en éclats et ses lettres s’éparpillent. Plus ou moins déformées selon l’endroit et la position dans lesquels elles sont tombées, elles perdent leur signification; aux lettres familières de l’alphabet se substituent des fragments tantôt connus, tantôt inconnus.
À ce stade, Chamizo revient presque à son point de départ, celui du verbe, dans lequel la trace, conçue comme un témoignage culturel, s’exprime par le mot et l’image. Prenant l’aspect d' »idéogrammes » ou d' »iconogrammes », ces traces sont le fil qui permet de retrouver la pré-histoire de la langue et mène vers sa méta-histoire, vers le lieu où se rejoignent l’avant et l’après alphabet. « Cet événement fondateur, ce big-bang du langage de la peinture, écrit Jacques Bouzerand, ouvrent à Chamizo toutes les portes. Avec sept notes de musique, Beethoven et Jimmy Hendrix ont créé des univers incomparables et inouïs. Les mille milliards de combinaisons de Raymond Queneau ont réveillé la poésie. Chamizo orchestre ses symphonies cuivres et cymbales, flûtes et grosses caisses. Dans la sensation pure. Celle qui va plus loin que tous les mots. »
Boxer la langue, c’est tenter de la débarrasser du superflu pour abstraire le nécessaire. Cette abstraction lettrique porte des coups – noétiques et visuels – aux habitudes du spectateur, car les mots perdent leur sens et leur réalité visuelle. « Chamizo s’amuse (s’émerveille?) de cette « figuration lettrique », précise Laurence Revais. Le point d’un i jaillit tel un œil exorbité, le g fait la gueule et les barres des e sont bien utiles pour former des dents. Quant aux caractères cyrilliques et cunéiformes, quoi de plus idoine pour dessiner la cage thoracique d’un amant essoufflé ou les ailes d’un ange? » En perdant ainsi sens et réalité, les mots perdent également leur gravité. Signes d’une langue encore inconnue, ces lettres entre ciel et terre, telles des lettres astronautes, sont le produit d’un exercice consistant à mettre à l’épreuve les limites de l’identité picturale.
Loin d’une matérialité pléthorique de la peinture, loin aussi de la gravité picturale qui pourrait évoquer l’œuvre de Jean Fautrier, de Jean Dubuffet ou de Georg Baselitz, et plus loin encore de la figuration libre, la liberté de figurer de Chamizo conduit à la création de nombreux figuroïdes météoriques, issus du monde de la rue. Voyageant dans l’espace souvent monochrome du tableau ou dans ses profondeurs chromatiques, ces figures sortent des limites du cadre et donnent l’impression d’un théâtre d’ombres, de marionnettes, d’une chorégraphie, d’un décor ludique, d’un joyeux mélange de sculpture et de peinture. Dérangeantes car se tenant en équilibre entre le rationnel et l’absurde, ces figuroïdes procèdent d’un match de boxe incessant qui oppose l’expression plastique à la langue – picturale ou non; comme l’artiste le souligne lui-même, il « fait acte de peindre en détruisant le langage pour dire ce qu’il a à dire ».
Très proches des jeux électroniques et vidéo, de la réalité virtuelle, de la publicité et de la télévision, les créations de Chamizo révèlent un sens de l’espace et de la matière. Par les thèmes puisés parmi les figures de l’histoire et de la vie quotidienne – des célébrités et des anonymes qui entraînent des subversions constructives, des destructions constructives ; des caractères qui possèdent le don de la joie et de la rébellion ; des personnages issus de la fracture sociale, des sans-abri ; des victimes de guerre, le Christ, le footballeur, le top-model, Bacchus, Bill Clinton, Terminator, des figures du monde de la peinture, de la mythologie du cinéma… -, le travail de Chamizo s’apparente à des exercices spirituels pratiqués au quotidien et destinés à éprouver les limites du monde, du moi et de la créativité picturale – à s’y soumettre aussi.