François d’Albareil, Lieutenant général au siège de Gourdon par Jean LARTIGAUT  Président de la Société des Études du Lot. Docteur en histoire de l’Université Toulouse-Mirail  (rédigé en 1960, revu en janvier 1997). Publié dans : Moi-Géné n° 26 (Avril 1998)

La famille D’ALBAREIL a été étudiée dans ses grandes lignes par le chanoine FOISSAC (1) . Connus à Labastide (Murat) dès 1334, paysans de Montfaucon en 1443, notaires à la fin du siècle, les générations suivantes se fixent à Gourdon où cette famille occupera les premiers offices de Sénéchal.

François D’ALBAREIL, docteur en droit, conseiller du roi, fut, comme son père, lieutenant général au siège de Gourdon. Il est dit seigneur de la Poujade (2) , Coupiac (3) , Costeraste (4) et Saint-Clair. Il meurt en 1619, sans doute à un âge avancé puisqu’il était déjà licencié en 1569.

Ses héritiers sont encore en procès devant le parlement de Toulouse au sujet de sa succession en 1635. Le conseiller Pierre de CARCAVY, commissaire en cette cause, désigne d’office Me Jean de FOURNIER et Arnaud ROUBERET avocats au Présidial avec Antoine BÉRALDY et Guillaume ISSALA, bourgeois de Cahors pour procéder à l’estimation des biens contentieux.

Partis de Cahors le 4 novembre 1635 après avoir prêté serment, les experts sont à Gourdon le lendemain et se mettent au travail. Les résultats de leur enquête sont consignés dans un cahier (5) de 11 folios dont nous donnons l’analyse :

I- A GOURDON :

François D’ALBAREIL possédait une grande maison à quatre étages confrontant de trois côtés la principale place publique. Quatre boutiques occupent le rez-de-chaussée reposant sur une cave voûtée. Au dessus s’élèvent deux appartements constitués chacun d’une salle et de trois chambres. Une autre quartier de la maison comprend quatre chambres superposées. Un escalier à vis en pierre dessert l’ensemble. Dix cheminées en pierres de taille réchauffent cette vaste demeure. On précise que tous les fenestrages sont du même matériau que les cheminées. Au fond d’une basse cour assez vaste on a construit un petit corps de logis avec au rez-de-chaussée un chai surmonté de deux chambres  » pour la descharge de la maison « .

D’un commun accord les experts évaluent l’immeuble à 3 000 livres. Ajoutons qu’un de ses héritiers, Bernard de MARSIS (6) , lieutenant particulier, exhibe un bassin, une aiguière et une écuelle d’argent d’un poids de 5 marcs ¾ évalués à 22 L le marc soit 125 L 5 S. Toujours dans Gourdon, une petite maison en mauvais état joignant le patus du château d’une valeur de 200 L. Un jardin et chénevier du faubourg Ste Catherine (400 L), une autre maison avec jardin donne sur la rue allant de la Grand Rue du Rocq à la rue de Salvayre (300 L).

Dans la juridiction de Gourdon, un terroir dit de Malepique ou del Bournac, franc de rente, se composant d’une pièce de terre, d’un plantier chargé de noyers, d’une tuilerie, d’une terre, d’un pigeonnier et enfin d’une vigne ; l’ensemble vaut 1800 L.

François D’ALBAREIL possédait encore le domaine de Braysse au bord du chemin de Gourdon à Prouillac, soit métairie, grange couverte de chaume, pigeonnier circulaire couvert de pierres. Les terres portent des noyers et autres arbres fruitiers. Ce boriage appartient à la directe du commandeur de Soulomès. Les experts l’évaluent 4 000 L.

Mentionnons encore un pré d’une valeur de 700 L qui confronte le Bléou et le chemin de Terrié à La Fontade du Vigan.

Notons en passant la sage  » économie  » de l’ensemble : la vaste résidence, les petites maisons, les jardins de faubourg et dans les environs immédiats deux domaines qui procurent le vin, les fruits, les céréales, les volailles, le foin pour les chevaux du maître.

II- A SAINT-ROMAIN :

Un pré confrontant le Bléou, le chemin de Gourdon à St-Clair et le moulin de la Poujade (400 L).

Une terre et pré au terroir de Tustal, juridiction de St-Romain touchant aux terres de Costeraste
(120 L).

III- A COUPIAC :

Le 7 novembre, le commissaire accompagné de ses experts et des parties se rend à Coupiac.

Description du petit château : on pénètre d’abord dans une basse cour. Les étables et l’écurie, en mauvais état, sont près de l’entrée. On accède de plein pied à la salle basse qui occupe tout le rez-de-chaussée avec deux chambres. Les fenêtres sont  » grillées  » de fer. Un escalier à vis en bois dessert le 1er étage où se trouvent la salle haute et deux chambres. Une tour ronde accolée au corps de logis sert de chapelle.

D’un côté du château, une garenne, un grand bois de châtaigniers, chênes et vergnes avec un pigeonnier rond ; de l’autre, un domaine de 2 paires de bœufs comprenant la maison du métayer couverte de pierres, une grange de 4 couples, une étable ruinée. Une vigne de 40 journées. Les prés donnent 5 à 6 charrettes de foin. Les terres occupent 80 cartonnées mesure de Gourdon. Le domaine, franc de cens et rentes avec la justice haute et basse de la seigneurie de Coupiac est évalué 9620 livres.

Un moulin noble sur le Céou dépendant de la seigneurie de Coupiac. Il est banier pour les habitants de la Fontade. Il tourne à 2 meules, une fromentale, l’autre mixturale. Avec 2 petits prés, il est estimé 1 000 L.

Les rentes de la seigneurie en indivis avec le sieur de Léobard, celles de la Fontade et de la Caussenilhe en indivis avec l’abbé de l’Abbaye Nouvelle et de quelques menus fiefs sont évaluées 5 380 livres.

Aux environs de Coupiac, quelques biens isolés, en particulier des prés au bord du Céou pour 1 710 L. Les rentes de Mailhol, paroisse et juridiction de Gourdon, 900 livres.

IV- A COSTERASTE :

Le 9 novembre, les experts vont à Costeraste dont la justice haute et moyenne avait été achetée par François D’ALBAREIL au baron de Salviac. Cette justice, avec l’affranchissement de l’hommage vaut 2 500 livres.

Le château se réduit à une  » chambre  » que feu D’ALBAREIL avait fait construire sur  » fondements anciens « . Pas de cheminée. A un coin de la chambre, un gabion soutenu par des mâchicoulis de taille (probablement pierres  » de taille « ). François D’ALBAREIL avait également entrepris des réparations à la muraille de la chapelle, à celle de la basse cour et à une tour. L’ensemble ne dépasse pas 500 livres.

Dans le village, une maison et jardin valant 120 livres.

Des biens isolés estimés 1 670 livres dépendent de Costeraste. A noter que le château n’est pas accompagné d’un domaine constitué.

V – A SAINT-CLAIR :

Le lendemain, suite de l’expertise à St-Clair :

Justice haute, moyenne et basse. La juridiction compte 60 feux plus quelques hameaux. Le sol y est médiocre ou fort maigre. Les rentes se montent à 50 charges de 8 quartons de froment mesure de Gourdon, 5 charges d’avoine, en argent 20 livres, 60 paires de poules. Les consuls doivent 3 charges d’avoine et 9 livres caorsens (7) . Le tout est estimé 15 300 livres.

Dans le bourg de Saint-Clair, une petite maison où se fait la levée de la rente (260 L) ; le moulin de St-Clair, moulin noble se composant d’une tour carrée et de deux chambres. Il tourne à 2 meules. Avec ses dépendances, il vaut 1 200 livres.

– un grand pré de fauche dans la rivière de St-Clair d’une contenance de 10 journées (1700 L) ; autre pré (240 L).

La métairie de la seigneurie située dans un causse fort maigre, franche de cens et rentes, labourage de 2 paires de bœufs. Elle ne rapporte annuellement que 50 L. Elle est estimée à 2 500 livres.

VI – A SOUILLAGUET :

Le 13 novembre, estimation à Souilhaguet d’un pré situé entre Saint-Clair et Feydidie (80 L) ; autre pré (120 L).

Une  » locaterie  » sur le ténement de Souilhaguet valant 80 L.

VII – A MONTFAUCON :

A Montfaucon, où s’ébauche l’ascension sociale de la famille, les D’ALBAREIL de Gourdon possèdent surtout des prés : un pré noble au vallon de Foa, un autre pré également franc de rente au ruisseau de Rieutord, un troisième au ruisseau de Pastou. Le tout d’une superficie de 5 journées de fauche et vaut 450 livres. 2 autres prés également nobles faisant 10 journées valent 900 L.

Un autre pré dit de Berbizou, assis à la Croix de Séniergues confrontant le chemin de Montfaucon à Séniergues et le chemin de la Bitarelle (8) au Pont de Rodes d’une contenance de 12 journées est évalué 1 000 L.

Une terre noble avec un pigeonnier dont il ne reste que les 4 piliers droits, au faubourg de Montfaucon, ne vaut que 30 livres.

Ce soir là tout le monde coucha à Montfaucon et le lendemain 14 novembre on continua par une  » ruyne de maison  » sous les murs du lieu estimée 60 livres. Il resterait à évaluer quelques petits biens qui ne dépassent pas 145 livres.

VIII – A LA POUJADE :

Le même jour les experts se rendent au château de la Poujade dans la juridiction de Montfaucon. Le domaine est de 3 paires de bœufs. Les terres incultes à pacage dominent avec les bois. On engrange 8 à 9 charretées de foin chaque année. Les vignes sont d’une contenance de 40 journées  » à foussoyer  » 150 quarterées de terre mesure de Montfaucon.

Le château se compose d’une basse cour fermée de hautes murailles, d’un grand corps de logis à 2 caves desservi par un  » degred à repos  » de pierre. Au rez-de-chaussée, on pénètre dans une cuisine encadrée par 2 chambres dont les fenêtres sont  » grillées  » de fer. Au 1er étage, d’un côté la salle, de l’autre, les deux chambres. Une tour ronde à un angle de la maison.

A côté du château, la maison du métayer et les bâtiments d’exploitation. Le tout valant 7000 livres.

Il convient d’ajouter en cens et rentes portables au château de la Poujade 63 quartes de froment et 30 d’avoine mesure de Montfaucon, 1 livre 10 sols d’argent, 30 paires de poules, une journée d’homme, ¾ livre de cire levées dans les juridictions de Montfaucon, Goudou et Labastide.

Ces rentes sont évaluées 7 300 livres.

Le 15 novembre furent estimés un pré au terroir de la Nogarède sous les fontaines de Montfaucon (600 L) et un autre pré sur le ruisseau de Moncany (300 L).

IX – BARBAZO :

Enfin le boriage noble de Barbazo paroisse et juridiction de Montfaucon se composant de la maison et de ses dépendances, de trois pièces de terre et d’un pré. Le tout vaut 2 950 livres.

…. Suivent les signatures des experts.

L’ensemble de la fortune foncière est de l’ordre de 77 000 L et peut se décomposer ainsi :

Justice er Rentes 31460
Châteaux et métairies 26750
Près isolés, rivière du Bléou 1260
Près isolés, rivière du Céou 1370
Près isolés, rivière de Saint-Clair 1940 7945
Près isolés, rivière à Souillaguet 200
Près isolés, rivière à Montfaucon 3170
Bois, terres, vignes isolés et une tuilerie 4340
Moulins et prés adjacents 2200
Maisons urbaines et dépendances 4000
Maisons rurales 440

Comme toute la bourgeoisie gourdonnaise au 16e siècle, les D’ALBAREIL se sont efforcés d’acquérir des prés dans les vallées du Bléou et du Céou. Dans de nombreux actes les possesseurs de ces prés sont à part quelques vieux nobles, des licenciés, des bacheliers, ou des marchands de Gourdon. Peu de paysans en fin de compte.

On remarquera aussi que la plupart des biens sont nobles c’est à dire francs de cens et de rentes.

Ce patrimoine se constitua lentement : au départ les terres accensées par Jeanne de RASSIOLS autour de 1450 à Montfaucon, puis les héritages des filles nobles qu’ils épousèrent très tôt, enfin les acquisitions de rentes ou de seigneuries entières aux Gourdon/Genouillac/Vaillac, aux Peyronnenc seigneurs de Saint-Chamarand et aux Durfort-Boissières. L’opulente maison qui élève ses quatre étages à côté de St-Pierre atteste aux yeux de tous la réussite familiale des premiers magistrats de la ville.

NOTES

(1) Bulletin de la Société des Etudes du Lot (BSEL) 1910/4 p. 197 à 205
(2) Commune de Séniergues
(3) Commune de Gourdon
(4) Commune de Gourdon
(5) A.D. Lot : fonds de Valon

(6) Marié à Florette D’ALBAREIL. Parmi les autres enfants de François D’ALBAREIL son fils aîné Pierre lui succède comme lieutenant général tandis que Jean, seigneur de Labastidette, est lieutenant criminel

(7) Faut-il voir dans cette redevance particulière la survivance d’une contrepartie exigée par le seigneur lorsqu’il autorisa le consulat ?

(8) Dans cet acte, tantôt la Bitarelle, tantôt les Bitareles. La proximité du bourg de Montfaucon s’explique peut-être par la fondation relativement récente de cette bastide (1290).

Sur les Vitarelles, voir l’étude de M. PRAT  » Un toponyme du Sud-Ouest, Les Vitarelles  » dans Revue Internationale d’Onomastique 1953/4 p. 253 à 256

NDLR : Voir aussi sur le sujet :
– la note de l’auteur : Les D’ALBAREIL à Séniergues en 1668 ; BSEL 1985/2 p. 168.
– GARY Anne ; Montfaucon en Quercy (tome 1 : des origines à la Révolution) ; éd. Roc de Bourzac 24150 Bayac, 1992, 115 p. (index général en fin du t. 2 publié en 1994)