Extrait de la revue Les Etoiles du Quercy, N° 2, Imprimerie Coueslant, Cahors, 1944. (Archives Départementales du Lot, 3 PER 4/2)
Dans un petit chemin forestier des environs de Latronquière un monstre ruisselant de soleil avance lentement. C’est un gros camion des FTPF chargé d’un pesant matériel d’imprimerie : massicot, pédale, moteur électrique, cases, stock de papier, boites d’encre.
Arrivé au hameau de Malbouyssou, dont les maisons se cachent au milieu des bois, il s’arrête devant une masure entourée par des ronces. On pousse une porte branlante ; le plancher aux poutres écartées, laisse entrevoir la cave, c’est pourtant là qu’il va falloir installer les machines.
Tout est bientôt en place. Dans la pénombre de la première salle le massicot et la pédale luisent. La seconde salle est occupée par les rames de papier blanc, rose, vert, jaune, bleu, orange.
De grandes feuilles tricolores, format colombier, attendent les caractères gras qui annonceront bientôt les manifestations du 14 juillet, puis, plus tard, la libération du département et la libération de Paris, lorsque le peuple de la capitale aura chassé, quelques semaines plus tard, le boche pris au piège.
Avec tout ce matériel, le lieutenant Marcenac, dit Walter, avait amené Lucien, ouvrier typographe de Figeac, qui, abandonnant sa femme et ses deux enfants, venait se battre au Maquis sans mitraillette et sans grenade, mais avec ses armes : les petits caractères de plomb. Désormais, au travail !
Des journaux seront bientôt envoyés dans toutes les formations F.T.P.F. de la région du Lot. Des tracts rédigés par Roland, jeune étudiant alsacien israélite, licencié en allemand, seront lancés devant les troupes de la Wehrmacht. Michel, chef militaire du P.C. régional, en écrit pour ses camarades russes encore détenus par les officiers d’Hitler.
Bien des fois, les textes sont apportés dans la nuit ; Lucien se lève en hâte, une bougie éclaire les cases, et peu à peu, les caractères, les phrases, se forment, les articles sont composés. Alors Carmen, qui, poursuivie par la Gestapo, a été obligée de quitter son service d’agent de liaison, va les imprimer. Le moteur électrique est mis en marche, et, dans l’ombre, le bruit régulier de la pédale reprend sa complainte.
Le jour, il faut faire attention. Une colonne ennemie peut circuler sur la route voisine, le ronronnement des machines pourrait lui donner l’éveil. Qu’adviendrait-il alors des granges, du bétail et des récoltes des fermes environnantes ? Qu’adviendrait-il surtout des braves paysans : Saint-Marie, maire de la Bastide-du-Haut-Mont, résistant de la première heure, hôte des premiers Maquis, Bousquet, ancien combattant, mutilé en 1917 sur le front de l’Aisne, qui ont recueilli les imprimeurs ?
Car la guerre n’est pas terminée dans la région. Pendant la dernière semaine de juillet, l’alerte est donnée dans tous les secteurs. Les troupes nazies veulent remonter vers le Nord et le long des routes les détachements des F.F.I. se mettent en embuscade. La Gammont, grenade antichar, est légère dans la main du Franc-Tireur.
Malgré la guerre, qui, tous les jours détruit les villages, incendie des fermes, frappe des camarades au combat en plein front, le premier numéro du Partisan, édité sur les presses clandestines de l’Imprimerie F.T.P.F. de la région du Quercy, paraît à l’occasion du 14 juillet. Il apporte au Maquisard des échos de la Révolution française et des manifestations de notre fête nationale, commémorée malgré la présence des occupants, à Figeac la ville aux 800 déportés, à Gourdon en deuil où l’on pleure encore les otages assassinés par les nazis, à Bagnac et à Saint-Céré, à Payrac et à Souillac, à Martel, à Bretenoux. Le Maquisard du nord a ainsi des nouvelles du secteur sud : ses camarades des environs de Cahors ont célébré militairement ce 14 juillet d’espoir qui est encore un 14 juillet de guerre, ils ont détruit des routes autour de Cahors, ils ont attaqué "le boche".
Le Front National, installé à la Source Salmière, puis dans Alvignac même, fait aussi paraître son journal clandestin La Liberté. Les troupes allemandes sont toujours à Cahors. Des convois traversent Figeac, Saint-Céré, Gourdon, Souillac, des avions à croix gammée survolent encore la campagne, mais la parole des vrais Français atteint ceux qui espèrent, ranime la confiance de ceux qui luttent, renforce encore celle des meilleurs ; le message du Général de Gaulle est diffusé aux habitants des communes libérées du Lot. On leur explique le rôle des Comités locaux de Libération, expression populaire du Gouvernement provisoire de la République ; il définit les tâches essentielles du Front National ; on leur transmet les résultats pratiques des décisions prises par le Comité départemental de la Libération au sujet du ravitaillement et des réquisitions. On leur annonce que le 20 août sera une grande journée de solidarité patriotique.
Enfin, c’est Jean Lurçat, dit Jean Bruyères, directeur de la Presse, qui traverse rapidement la route Nationale 20 où les Allemands passent toujours. Il va à Gourdon faire imprimer Les Etoiles, organe du Comité national des intellectuels, qui, plus que jamais, sont « au service du peuple en armes ».
Ce journal, s’adresse plus spécialement aux étudiants, aux instituteurs, aux professeurs, aux artistes F.T.P.F., à tous les intellectuels résistants.
J’ai vu Jean Lurçat, cahoté sur le porte-bagages d’une motocyclette ; j’ai vu le mécano, la mitraillette en bandoulière, conduire l’artiste qui portait à l’imprimerie des F.T.P.F. des œuvres d’Eluard, d’Aragon, de Moussinac, de Vercors. « Le peuple français est en armes », tout le monde dans le circuit.
Dès que les tirages sont terminés, une voiture va chercher les exemplaires du Partisan et de La Liberté au Malbouyssou, puis les emporte au Château de l’Alzac, où est installé le P.C. régional depuis plus d’un mois. De là, l’équipe des agents de liaison motocyclistes, les « Moutars », comme les appelle Michel, va les répandre au secteur A, chez Coujoux, installé à Gluges, chez Emmanuel (mort pour la France en allant libérer Toulouse), commandant le secteur B, établi à la Gineste. Des P.C. de secteur les journaux sont répartis dans les bataillons, les compagnies et les sections. Chaque Franc-Tireur aura son journal. Les Libertés sont déposés chez le Responsable du F.N., les paysans et les artisans des campagnes, les intellectuels et les ouvriers des petites villes déjà libérées ne sont pas oubliés. Tous les Français résistants reçoivent des informations exactes sur la situation et des mots d’ordre pour continuer la lutte jusqu’à la libération totale.
En effet, totalement isolés dans les bois, menant la vie des traqueurs ou des pionniers de quelque Far-West disparu, en état d’alerte perpétuelle, les chars allemands rôdant encore sur les routes, les jeunes combattants de la Liberté sont bien informés. Car ce n’est pas un torchon de Vichy qui, se glissant dans les taillis, vient leur raconter des histoires et des mensonges, c'est un journal, une petite feuille au format très réduit, certes, mais un journal créé pour eux, écrit par des camarades de combat, imprimé dans une chaumière délabrée qu’ils protègent. Tous les mots du Partisan, de La Liberté et des Etoiles, sont des mitraillettes, des fusils et des grenades. Tous les mots des journaux clandestins sont des armes dans la tête et dans le cœur de celui qui, chaque matin, à son réveil, chante face au soleil levant : « Je suis vainqueur ! »
Noël Ballif
L'IMPRIMERIE DE LA RÉSISTANCE
[...] Se posa très tôt le problème d'une imprimerie du maquis.D'après l'ouvrage : Le temps des partisans, Colonel Georges (Robert Noireau), Flammarion, 1978, pages 190 et 192.
Nous avions longtemps travaillé grâce aux seules machines à écrire, le tirage stencil nous permettant de multiplier les instructions. Puis, un jour, la nécessité de disposer d'un journal de liaison rendit impérative l'installation d'une imprimerie à nous. Comment faire ?
Nous avions appris à prendre les choses « là où elles étaient ». Il fut décidé de déménager une imprimerie. On en choisit une à Figeac et je chargeai Jean Marcenac (capitaine Walter) de régler l'affaire.
Deux camions, une voiture légère, des gars résolus et bien équipés : Marcenac réussit sans trop de peine à monter son coup et le matériel nécessaire atterrit un beau matin dans une ferme écartée de Labastide-du-Haut-Mont, chez le maire Sainte-Marie.
Le problème n'était pas résolu pour autant : manquait encore le technicien qui ferait tourner la machine. Nous n'avions d'autre choix que de capturer l'imprimeur. Marcenac partit à nouveau en mission et ramena donc le bonhomme qui devint l'imprimeur clandestin du maquis, en quelque sorte un résistant contraint et forcé comme il y en eut pas mal. Nous fîmes courir le bruit, afin d'éviter les représailles, que le maquis avait emmené de force le malheureux...
On n'eut plus désormais qu'à fournir de la copie à ce nouveau « collaborateur » bénévole. Nous ne manquions pas de matière, entre nos informations propres et la littérature du Front national, et c'est ainsi que s'imprimèrent dans le Lot, Aragon et Jean Lurçat, Éluard et Vercors, et tant d'autres poètes de la nuit. Ainsi fut fondé le journal Le Partisan qui fut, en même temps qu'un organe de liaison, un organe de propagande. Les premiers numéros du Partisan étaient ronéotypés sur une seule face, puis ils le furent recto-verso en 21 x 27 avant d'être imprimés.
A la Libération, on ramena l'imprimerie à Figeac, puis quelque temps après on fit imprimer le journal sur les presses de Cahors...
Extrait de : A la recherche du Maquis. La Résistance dans la France du Sud 1942-1944, H. R. Kedward, Les Editions du Cerf, Paris, 1999
... plus au nord, dans les forêts du Ségala, non loin de Latronquière, le lieutenant Marcenac des FTP dirige une imprimerie du maquis de juin à août 44, aidé par le peintre cartonnier d'Aubusson, Jean Lurçat. Il emploie des typographes professionnels de Figeac. Un jeune étudiant juif d'alsace traduits les tracts FTP en allemand et les dépose sur les routes fréquentées par la Wehrmacht.
Pour le premier numéro de Partisan, publié le 14 juillet 1944, Lurçat apporte des œuvres d'Eluard, d'Aragon et de Vercors à composer à "l'imprimerie des bois". En octobre 1944 Les Etoiles du Quercy déclare devoir son origine à cette presse du maquis et souligne le rôle local du texte imprimé dans la transmission des ordres de commandement des FTP aux maquis du Ségala : "Totalement isolés dans les bois, et menant une vie de pionniers traqueurs dans une saga du Far West, les jeunes combattants de la liberté sont en permanence tenus informés par la presse *".
* Noël Ballif : "L'imprimerie clandestine des FTPF du Lot", Etoiles du Quercy, N° 2, octobre 1944, p. 37.
Les Etoiles du Quercy :
est une revue fondée à Cahors (7 rue de la Préfecture, puis 12 rue Wilson) par Jean Lurçat, le commandant Rémy (1) et Jean Agamemnon (2), et dont le premier numéro porte la date d'août-septembre 1944 et a pour titre "Numéro de la Libération".
Cette revue n'est pas en soi totalement nouvelle, puisqu'elle fait suite à Quercy, revue autorisée par Vichy, ayant paru entre décembre 1941 et octobre/novembre 1943, et qui saluait ouvertement le Maréchal. Son ancien rédacteur, Joseph Maureille, semble néanmoins proche du groupe formé par Jean Lurçat, puisqu'il devient secrétaire de rédaction de la nouvelle revue.
Cette revue, se présente comme une tribune dans laquelle s'expriment des écrivains d'origine quercynoises ou liés au Quercy par le combat soutenu sur son sol.
Les collaborateurs à la revue sont des résistants actifs, ou qui ont lutté, travaillé, effectué des missions dans le département du Lot, et qui peuvent donc aujourd'hui porter la parole de pays. Par ailleurs, la revue est placée "sous le patronage d'honneur" comporte les noms de martyrs de l'action résistante : Jacques Decour, Saint-Pol Roux, Georges Politzer, Max Jacob, Antoine de Saint-Exupéry, Maurice Jaubert, Hoog... Cette revue ne paraîtra cependant que trois fois, avant de disparaître en janvier 1945.
Le premier numéro se consacre à "la Libération", avec des articles de Jean Cassou, Léon Moussinac, André Chamson, René Huyghe, Jean Marcenac et des contributions signées Paul Eluard ou Aragon. Le second numéro d'octobre 1944, présente entre-autres, un portrait d'Antoine de Saint-Exupéry par René Kerdyk, une étude de Jean Lurçat sur les intellectuels dans le Quercy, un témoignage de Pierre Mazars sur Cahors libéré, un article de Noël Ballif sur l'imprimerie clandestine des FTPF du Lot (Article reproduit ci-dessus). Le troisième et dernier numéro, paru début 45, présente une lettre inédite de Marcel Proust, des contributions dont certaines déjà publiées dans la clandestinité, de Charles Vitrac, Paul Eluard, Jean Paulhan, Jean Lurçat, Maurice Fombeure, Jean Marcenac, Tristan Tzara, Léon Moussinac, Luc d'Estang, Pierre Mazars, etc...
(1) Commandant Rémy, pseudonyme de Gilbert Renault, sera nommé colonel avant de se consacrer à la rédaction de nombreux ouvrages sur la Résistance, dont Mémoires d'un agent secret de la France libre et La Ligne de démarcation (adapté au cinéma par Claude Chabrol en 1966).
(2) Jean Agamemnon, deviendra conservateur des musées.