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Manoir de Mordesson

La légende de Bertheline de Mordesson

Texte publié en 1942 à Saïgon dans « l’écho d’extrême-orient » Yves Desjeux

 » Sur la verte colline, en un vol de batailles,
Le vieux Manoir, jadis, a connu les fureurs ;
Les cris des chevaliers, et le sang des entailles,
Ont rougi ses vieux murs, de leurs rouges clameurs.
Joseph de Salvagnac

 

Lorsqu’il mourut, aux environs de 1360, Guarin de Castelnau, seigneur de Gramat, Loubressac, Lavergne, Prangères et autres lieux, laissait pour unique héritière une jeune fille de 18 ans répondant au nom de Bertheline. Pour supporter les charges d’une si vaste seigneurie Bertheline dut ajouter à la beauté et à la noblesse de sa naissance, les qualités de courage et d’audace qui font l’honneur du sexe fort . Les temps étaient durs ; l’anglais ravageait la Guyenne et le Quercy et les troupes de Jehan Chandos traînaient le massacre et le pillage sur leurs traces.

A la sombre forteresse de Castelnau, aux cinq puissantes tours de son château de Gramat, Bertheline préférait les agréments plus champêtres de sa baronnie de Prangères. Là, parmi les bois de châtaigniers, sur les hauteurs qui dominent le petit lac et d’où la vue s’étend très loin vers la cité de Gramat, les baronnies de Lavergne et Bio, et vers le couchant jusqu’aux gorges de l’Alzou et au-delà de Notre Dame de Rocamadour, Guarin de Castelnau avait fait construire le manoir de Mordesson.

C’était un rude homme le vieux Guarin. Mais les délicatesses de l’amour paternel et le sens du beau se rencontrent aussi chez les âmes rudes. Rien n’avait était négligé à Mordesson pour que l’enfance de Bertheline fut ensoleillée et charmée de tout ce que la nature et l’industrie des hommes peuvent apporter de beauté et de douceur de vivre. Aussi la jeune fille y passait-elle tout le temps que lui laissait l’administration de son vaste domaine.

Bertheline ne connut pas ces difficultés qui font trop souvent le malheur des dynasties quand les charges viennent à en retomber sur des épaules trop faibles. On se souvenait des vertus du vieux Guarin et l’on conservait à son héritière, la même fidélité loyale, avec, en plus, l’admiration que l’on a pour une jolie fille, douce et bonne. Jamais le grand et bel Amaury de Valon, seigneur de Lavergne et de Thégras, ni Jehan de Miers , que l’on appelait  » le brave « , ni Amidieu de La Rocque, réputé pour son exquise courtoisie, jamais cette fleur de la chevalerie n’eut voulu profiter de ces circonstances pour briguer un pouvoir tombé aux mains d’une femme ; ils se fussent crus déshonorés et malheur à quiconque oserait porter la main sur leur charmante suzeraine, car leurs épées et leur sang étaient garants de leur loyauté.

C’est pourquoi dans cet après-midi de juin 1369 ils étaient réunis à Mordesson, dans la salle du Conseil, autour de la robe blanche de Bertheline. On avait signalé dans la région l’approche des anglais, et toutes les forteresses de la seigneurie étaient garnies d’hommes d’armes. Mais c’était sur Mordesson que se dirigeait Jehan Péhautier capitaine de cinquante lances, parce que le château n’ayant pas de remparts, il pouvait s’emparer facilement de l’héritière de Guarin de Castelnau. Bertheline s’entretenait avec chacun comme un chef et comme un ami. Amaury de Valon, Jehan de Miers et quelques autres seigneurs renouvelaient leurs serments de loyaux services ; mais nul n’espérait autre chose que porter haut sa bravoure et son honneur, car ils savaient le cœur de Bertheline promis au jeune vaillant Bertrand de Terride, puissant en Périgord.

Il y avait aussi, près de leur suzeraine, les consuls de Grandes : Jean Cornilh, Jean de Merle, puis Hugues Orliac qui portait un jeune taureau sur ses épaules aux fêtes de la dîme, Bénédict Lafont, Bartolomé Darnis réputé pour sa connaissance des coutumes et des lois romaines, et enfin Antoine Bergonhos dont la richesse était l’occasion d’un proverbe. Tous étaient là, près de Bertheline parce que la vie, l’indépendance et la fortune de tous étaient en cause.
– Madame, dit Amaury de Valon, si vous le permettez, nous chanterons la chanson du Chêne et du Gui.
Bertheline rougit légèrement, car la chanson était d’elle. Les vois fortes et timbrées se mêlèrent à la sienne , et la mélodie jaillissait cristalline et fraîche comme les sources de l’Alzou , car, comme elles, elle s’exhalait du terroir.
 » L’ennemi ! Voilà l’ennemi !  » Le guetteur descendit de la tour ; il avait vu les cinquante lances de Jehan de Préhautier étinceler sur les glèbes du Causse-Nu, et l’on entendait les truands crier de joie dans l’espoir d’un triomphe facile. Mordesson n’avait pas de remparts.
Déjà Jehan Préhautier, le fer au poing avait pénétré dans la salle du Conseil, laissant sa horde dans la cour intérieure
 » – Quel est le Maître de céans ?  » rugit-il ! .
La jeune fille s’avança :
 » – Je suis Bertheline de Mordesson, seule héritière de Guarin de Castelnau. Que me voulez-vous ?
Le soudard perdit sa morgue. Le charme d’une femme est une arme redoutable pour les plus fiers soldats, parce qu’ils n’en rencontrent pas souvent sur leur chemin. Mais Jehan de Préhautier rêva d’une aventure singulière : sa voix rude prit des intonations plus douces et refoulant les injures qu’il s’apprêtait à dire, le routier chercha des termes dont il n’était pas coutumier :
 » – Je suis Jehan Préhautier, dit-il, capitaine de cinquante lances pour très haut et très puissant seigneur Jehan Chandos La valeur de ceux qui combattent sous la bannière de messire Saint Georges n’est plus à dire et l’on sait quelles ruines ensevelissent à cette heure ceux qui leur ont résisté. Mais c’est un autre sentiment que j’apporte dans cette enceinte.
Ce cœur qui ne frémit jamais dans les plus terribles rencontres, je le dépose à vos pieds, Madame, et pour peu que vous l’acceptiez, les gens d’armes qui vous défendent compteront cinquante lances de plus dans votre parti.  »
 » – Vous outragez, capitaine ! La fille de Guarin de Castelnau ne donnera pas sa main à un coureur d’aventures qui n’a de sang à son blason que celui de victimes innocentes.
Vous ignorez sans doute que le sang des Castelnau s’est mêlé à celui du Roi des Cieux en coulant aussi sur la Terre Sainte ! C’est là qu’il a gagné ses titres de noblesse. Et vous, capitaine, de combien de quartiers s’honore votre maison ?  »
Jehan Préhautier blêmit. C’était lui rappeler qu’il n’était qu’un capitaine d’aventure et que jamais le crime pour lui ne s’était distingué de la geste. Il voulu prouver qu’il connaissait aussi les bonnes manières de la chevalerie :
 » – Votre injure appelle vengeance, Madame. Désignez donc parmi les vôtres , celui qui m’en rendra raison  »
 » – Mes partisans sont de bonne lignée, capitaine, et nul ne dérogera. N’attendez donc point les honneurs d’un combat singulier avec un sang plus noble que le votre.  »
 » – Çà , Madame, vous m ‘en rendrez compte vous-même ! Je veux vous enfermer dans les prisons de votre château !  »
 » – Il n’est point de prisons à Mordesson, capitaine. Sans doute en eut-on construit si l’on avait songé qu’un capitaine de mauvaise rencontre s’aviserait un jour de tenir ici le langage d’un truand.  »
 » – Vous m’outragez encore, dit Jehan Préhautier au comble de la rage, mais prenez garde qui si truand suis, ne porte la main sur vous !  »
 » – Vous m’avez outragée d’abord, capitaine, réclamant ma main pour prix de votre trahison. Mais ce n’est pas un tel paiement qu’il faut aux gens de votre espèce : c’est trente deniers.  »
Jean Préhautier se fut lancé sur elle. Mais déjà Amaury de Valon levait son épée. Préhautier prit du champ :
 » – A moi compagnons, cria-t-il, et mort de sang !  »
Les truands se ruèrent dans l’enceinte, et les paisibles murailles du plus pacifique des castels, résonnèrent du tumulte des grands combats. Les injures des soudards se mêlaient aux défis des chevaliers, les épées s’entrechoquaient avec les masses d’armes, les pertuisanes recherchaient les défauts des cuirasses et les fentes des bassinets, et sur les tapisseries faites pour la joie des regards, le sang des hommes se mêla aux riches couleurs de l’art.
Bertheline, derrière le rempart des poitrines loyales, était agenouillée devant une effigie de Notre Dame de Roc Amadour :
 » – Bonne Dame, disait-elle, voyez ici combatre vos gentils seigneurs : Amaury de Valon qui richement dota le sanctuaire et Jehan de Miers qui prit la bannière des pèlerins et Amidieu de La Rocque qui bellement chante le cantique à l’office de la Mère-Dieu. Bonne Dame soyez en leur garde.  »
Maître Jehan Cornilh qui est sage et de bon conseil s’approcha d’elle :
 » Madame, dit-il, il convient fuir ! Quand truands sont plus de trois pour un, oncques chevalier ne l’emporte. Il convient fuir, Madame, pour le salut de votre baronnie !  »
 » – Fuir, Maître Cornilh ? Les Castelnau ont quelques fois péri sous le nombre, mais jamais montré le dos !  »
 » – Votre vie n’est point votre, Madame, reprit sévèrement Jehan Cornilh. Vous la devez à votre baronnie. Il convient fuir, que je vous dis !  »
Bertheline fit un grand signe de croix sur Maître Cornilh. Mais il ne disparut pas avec cette odeur de souffre qui caractérise les créatures du Malin et Bertheline comprit alors qu’il était de bon conseil. Elle disparut par la petite porte de la tour, sortit du Manoir, par la poterne qui n’était point gardée et s’enfuit par le sentier du lac.
 » – Messire, dit un truand à Jehan Préhautier, la Dame de céans s’est échappée par la poterne !  »
 » – Mort de sang, hurla le capitaine ; en selle compagnons et rattrapons-la ou j’y perdrais mon âme ! Mort de sang, mort de sang !  »
La poursuite fut infernale. Le sentier qui conduit au lac, à peine large pour Bertheline, fut le tombeau d’un grand nombre. Les cavaliers se heurtaient dans le torrent de la chevauchée, se brisant entre eux, tombant sous le flot des bêtes ou se broyant contre le tronc des chênes. Les injures se mêlaient aux cris désespérés, les blasphèmes et les hurlements se noyaient dans le fracas des cuirasses.
 » Mort de sang ! Mort de sang !  » hurlait Péhautier, mais le sang ruisselait des siens et la mort planait sur lui-même.
Légère comme les biches de la forêt, adroite comme elles, Bertheline avait gagné le lac quand les truands étaient à peine en selle. Là, à l’orée du chemin de Darnis, elle se heurte à l’Archange Saint Michel. Du moins, elle le crut, tant la splendeur du blanc cheval d’armes n’avait de comparable que l’éclatante armure du chevalier.
 » Voilà, pensa-t-elle l’archange des combats que m’envoie Notre Dame de Roc Amadour..  »
Sans mot dire le beau chevalier l’enleva de terre et la plaçant en croupe, piqua des deux en direction de Roc Amadour. A peu de distance le vacarme des poursuivants faisait trembler la forêt. Les imprécations de Jehan Préhautier parvenaient aux oreilles des fugitifs, mais le cheval de l’archange bondissait comme dans les miracles, rapide et léger comme le cheval de Dieu.
On traversa Darnis, puis Saint Germain de Rignac dont le moutier abrite des Saints, puis l’on s’engagea dans le petit sentier rocailleux qui mène à la Roque du Souci. Tout à coup Bertheline se rappela le gouffre sans fond vers lequel ils allaient tout droit et sa frayeur était grande. Mais un archange ne périt pas comme un simple mortel et sa Foi était encore plus grande que sa frayeur. Le blanc cheval galopait, museaux fumants, étincelant des quatre fers à l’allure du vertige et fonçait droit vers l’abîme.
Le cavalier céleste se signa en piquant des deux, le cheval s’envola dans les airs pour retomber de l’autre coté du précipice laissant l’empreinte de ses sabots dans la pierre. Et Bertheline sut que Madame Marie l’avait en garde. Mais emporté dans la violence de la chevauchée, Jean Préhautier et ce qui restait de ses cinquante lances furent se briser dans la Roque du Souci dans un tumulte effroyable d’os broyés et de blasphèmes.  » Mort de sang ! Mort de sang ! criaient-ils encore ; mais déjà avec leurs voix leurs âmes se perdaient en Enfer !
Les fugitifs, miraculeusement sauvés s’étaient arrêtés pour remercier Notre Dame de Roc Amadour Le chevalier sauveur souleva la visière de son heaume et Bertheline poussa un cri…
 » – Bertrand ! C’était vous ! Oh ! Bertrand !…
 » – Oui, Madame, c’est bien moi Bertrand de Terride qui loue le Ciel parce qu’il ma donné en vous sauvant la vie, de mériter ce cœur que vous m’avez promis. En apprenant que l’anglais ravageait les plateaux du Quercy, sans plus tarder suis venu car vous étiez en grand danger et perte certaine. Et m’en voyez heureux , Madame, comme oncque chevalier de bon encontre ne put l’être jamais !  »
Arrivés à Roc Amadour les deux jouvenceaux s’en allèrent trouver Madame Marie en son sanctuaire, et prièrent longuement. Belle était leur prière et leurs voix montaient le long du rocher béni vers la Vierge Noire , au milieu de la fumée des cierges et de l’odeur de l’encens. Messire Rogier de la Roque qui est premier chapelain de Notre Dame en son sanctuaire de Roc Amadour, entra dans la chapelle.
 » – Messire, dit Bertheline, voici Bertrand de Terride que je choisis comme époux devant Dieu.  »
 » – Messire, dit Bertrand de Terride, voici Bertheline de Castelnau que je choisi comme épouse devant Dieu.  »
 » – Soyez unis !  » répondit Messire Rogier de la Roque, premier chapelain de Notre Dame, en son sanctuaire de Roc Amadour.
Et cela se passait un jour de juin 1369.

Cette légende a été rapportée au début du siècle dernier par l’Abbé Bargues, curé de Prangères, à Yves Desjeux qui l’a transcrite pour sa pérennité.

 

LA CHANSON DU CHÊNE ET DU GUI .

Elle tremblait, la terre
Quand marchaient nos aïeux

Ils n’aimaient que la guerre
Ne craignaient que les cieux.
A Rome désarmée
Ils dictèrent les lois
En y jetant le poids
De leur vaillante épée.
Vaincus parfois, pour l’esclavage,
Non, jamais ! ils ne furent prêts.
Pour échapper à cet outrage
Allant dans leurs sombres forêts
Fer en main ils touchaient l’emblème.
De leur rude pas
Ils volaient de nouveau dans les combats suprêmes,
Pour n’être point soumis.
Qui donc leur forgerait leurs chaînes
A ces fils du Quercy ?
Ils étaient forts comme leurs chênes.
Et toujours verts comme leur gui !
César, aux lois de Rome
Voulut nous asservir,
Mais la Gaule eut un homme
Et qui savait mourir !
Héroïque Luctère
Redouté du vainqueur
Entends la Gaule entière
Te dire avec son cœur
La mort ! mais non pas l’esclavage !
Pour lui nous ne sommes pas prêts
Pour échapper à cet outrage
Allons dans nos sombres forêts
Là, nous contemplerons l’emblème
De notre fier pays.
Nous mourons s’il le faut dans les combats suprêmes
Pour n’être pas soumis.
César nous forgerait des chaînes
A nous , fils du Quercy !
Nous sommes forts comme des chênes
Et toujours verts comme leur gui !
Aujourd’hui, l’Angleterre
Veut te donner sa loi,
Et pense par la guerre
Avoir raison de toi.
De toi, terre des braves
De toi ,terre des forts !
Ah ! brise ses entraves
Affronte mille morts.
Oui ! la mort ! jamais l’esclavage
Pour lui nous ne sommes pas prêts !
Pour échapper à cet outrage,
Allons dans nos sombres forêts.
Là, serrant dans nos bras l’emblème
De notre cher pays
Nous mourrons s’il le faut dans les combats suprêmes,
Pour n’être pas soumis.
L’Anglais nous forgerait des chaînes,
A nous fils du Quercy !
Nous sommes forts comme nos chaînes,
Et toujours verts comme leur gui !

Epée de Rocamadour

L’épée de Rocamadour

C’est dans la geste du roi, composée au Xème siècle, que l’on retrouve la «chanson de Roland». Ami d’Olivier, frère de sa fiancée la belle Aude, Roland est comte de la Marche de Bretagne, et surtout neveu de Charlemagne.

Quand ce dernier passe les Pyrénées pour aller lutter contre les Sarrasins en Navarre, Roland commande l’arrière garde qu’attaquent les Sarrasins au col de Ronceveaux, suite à la trahison de Ganelon.

Roland et ses hommes résistent jusqu’au dernier. Blessé à mort, il sonne enfin dans son olifant, appelant Charlemagne à son secours. La légende veut que Roland ait aussi tenté de casser sur un rocher son épée Durandal pour qu’elle ne tombe pas aux mains des Sarrasins, mais c’est le rocher qui se brisa.

La légende raconte que Roland ne réussissant pas à briser son épée Durandal, pria l’archange Saint Michel de l’aider à la soustraire aux infidèles. Roland la lança de toutes ses forces vers la vallée. Durandal traversant les airs sur des kilomètres, vint se planter dans le rocher du sanctuaire de Rocamadour.

Elle y est encore, vieille et rouillée, fichée au dessus de la porte de la chapelle Notre Dame

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