Nous profitons des célébrations Gambetta sans oublier le conflit de 70, pour publier ce texte conservé dans nos archives et qui concerne la ville de Figeac.
A PROPOS DU CENTENAIRE D’UN MONUMENT ÉRIGÉ A LA MEMOIRE D’UN SAINT-CYRIEN ET DES COMBATTANTS DE LA GUERRE DE 1870-71
Un monument imposant situé place de la Raison, au cœur de Figeac, chef lieu d’un arrondissement du Lot, dispute l’intérêt du passant à un obélisque érigé à la mémoire de Champollion, la gloire de cette belle « Ville d’art et d’Histoire ».
Rares pourtant sont ceux qui ont la curiosité de s’approcher de ce monument érigé sur un emplacement offert par la ville de Figeac et qui fut inauguré avec solennité le 7 juillet 1907. Plus rares encore sont ceux qui s’intéressent à ce qu’il représente.
Et pourtant, il rappelle des évènements douloureux qu’il faudrait garder en mémoire et, depuis cent ans, c’est à son ombre que se déroulent les cérémonies patriotiques locales et devant lui que s’inclinent les drapeaux des anciens combattants.
Une monographie (1) évoque en ces termes « le monument des combattants de 1870-71 » : « Inauguré à Figeac le 7 juillet 1907, il a été érigé, par souscription publique, au Capitaine Anglade né à Figeac le 14 novembre 1835 et tué à la bataille de Froesviller, et aux enfants de l’arrondissement morts pour la défense de la patrie (1870-1871). C’est l’œuvre du statuaire Auguste Seysse(2), dont le plâtre avait été vivement admiré, l’année 1906, au Salon de la société des artistes français. L’ensemble est d’un effet saisissant pour tous les visiteurs. Ce monument remarquable consiste en un socle de granit très fin de Dijon : la face antérieure offre un bas-relief reproduisant un épisode de la bataille de Froesviller (6 août 1870) où le 2ème régiment de tirailleurs algériens se signala par l’abnégation de tous ses soldats, leur mépris de la mort, leur ténacité sous le feu ennemi, leur audace dans la charge. « Ce sont des démons. » criaient ce jour la les allemands affolés et terrifiés par ces hommes noirs couverts de sang et de poudre. Au dessus du socle, le capitaine Anglade est représenté debout, dans une attitude à la fois simple et martiale, fière mais sans forfanterie ; il tient des deux mains son sabre et semble attendre l’ennemi. Son visage, que tous ses anciens camarades trouvent d’une ressemblance parfaite, exprime une mâle décision et une énergie qui défie les menaces. Autour de lui sont groupés un mobile du Lot qui met un ennemi en joue, un tirailleur qui tient le drapeau haut et ferme, et enfin un artilleur expirant. Toutes les physionomies, toutes les attitudes sont du meilleur réalisme et contribuent à faire de l’œuvre, coulée en bronze, un monument vraiment digne de la pensée patriotique qui l’a inspiré »
Ce monument honore donc les soldats de l’armée impériale, et notamment les tirailleurs algériens que l’on appelait les turcos, ainsi que ceux de la Garde Nationale Mobile engagée contre l’ennemi par Gambetta et le Gouvernement provisoire de la Défense Nationale.
Mais qui était le Capitaine Anglade et quelle est la source de l’inspiration de l’artiste qui réalisa, plus de trente ans après les faits, cette œuvre remarquable par sa taille et le souffle qui s’en dégage ?
Le dossier de cet officier et l’historique du 2ème régiment de tirailleurs algériens (2ème RTA) consultés au service historique de la défense permettent de répondre à ces questions et ménagent aussi quelques surprises.
Qui était le Capitaine Anglade ?
Second fils d’une famille de commerçants assez aisés, Pierre, Auguste Anglade nait le 6 novembre 1835 à Figeac où ses parents sont installés. A l’issue de ses études au collège de la ville, il souscrit en octobre 1855 un acte d’engagement préalable à son admission à l’ « Ecole Impériale Spéciale Militaire ». A sa sortie de Saint-Cyr, il est affecté comme sous-lieutenant au 49ème régiment d’infanterie de ligne par décret du 1er octobre 1857. Il fera campagne en Italie – Magenta et Solférino – avec son régiment du 29 avril au 29 juillet 1859 et recevra la médaille d’Italie et celle de la valeur militaire de Sardaigne. Il demeurera jusqu’en 1865 au 49ème de ligne alors en garnison à Limoges, date à laquelle il demande de permuter avec un officier du 2ème régiment de tirailleurs algériens de Mostaganem plus jeune en grade que lui.
Le rapport transmis au ministre et au visa de l’aide de camp de l’Empereur est ainsi rédigé : « M. M. Anglade et Jacob demandent à permuter entre eux pour convenances personnelles. M. Anglade, plus ancien de grade que M. Jacob, renonce à son ancienneté pour prendre au 2ème régiment de tirailleurs le rang qu’y occupe ce dernier. Les deux colonels ont donné leur consentement.
Cette demande étant régulière, on propose au Ministre d’autoriser la dite permutation qui donnera droit à l’indemnité de route et à la gratification d’entrée en campagne conformément aux dispositions de l’article 9 du décret du 3 février 1852. »
C’est au sein du 2ème Régiment de tirailleurs algériens, qu’il rejoint en 1865 et où il servira jusqu’à sa mort, que se scellera le destin de Pierre, Auguste Anglade.
Quelle est la source de l’inspiration de l’artiste qui réalisa plus de trente ans après les faits cette statue remarquable par sa taille et le souffle qui s’en dégage ?
L’historique du 2ème RTA rapporte deux des faits les plus marquants de la bataille de Woerth qui sont rappelés par le monument.
Embarqué à Oran le 21 juillet 1870, le gros du 2ème RTA débarque à Marseille le 24 et arrive à Strasbourg le 26. Il prend position le 4 août avec le Ier Corps de l’Armée du Rhin que commande le Maréchal de Mac Mahon sur le plateau de Froeswiller, non loin de Woerth.
La bataille s’engage le 6 au matin et les français vont lutter à plus de deux contre un. Le 2ème RTA qui occupe un éperon boisé, position forte du dispositif, repousse toute la journée les assauts répétés des prussiens et des bavarois appuyés par une redoutable artillerie. Il réplique inlassablement à ces assauts par de furieuses charges à la baïonnette qui rejettent chaque fois l’ennemi en désordre dans la vallée mais éclaircissent les rangs des tirailleurs. Le repli de ses voisins accablés sous le nombre des assaillants rend sa situation désespérée. Son chef de corps, le colonel de Suzzoni, décide alors de renvoyer à l’arrière le sous-lieutenant Valès, porte drapeau. Lui-même n’ayant pas reçu d’ordre de repli meurt peu après, dans une ultime charge qu’il entraine. Nul ne songe à cesser de défendre la position alors que, submergée par le nombre, l’armée se replie grâce au sacrifice des cuirassiers.
Les restes du régiment fragmentés par le combat, se retranchent dans le bois et font face. « Les turcos, ivres de poudre, furieux de rage, travaillaient terriblement de leurs larges baïonnettes et ne lâchaient leurs derniers coups de feu que sur la peau de leurs adversaires ».
C’est à ce moment que se situe le geste héroïque que rapporte ainsi l’historique du régiment. « Une trentaine d’hommes réunis autour du Lieutenant Anglade, tout ce qui reste de la 5ème du 1er, se trouvent de même isolés de leurs camarades et cernés par une masse de plusieurs centaines de bavarois. On les fusille à 100 mètres, ils n’ont plus de munitions, il n’y a plus qu’à mourir….. Un major bavarois s’élance disant en français :
– Bas les armes, la résistance est impossible !
– Je vais te faire voir, crie Anglade. – En avant !
Les turcos s’élancent. Anglade rejoint le major et lui plonge son sabre dans la poitrine mais il n’a même pas le temps de le retirer, il est percé de coups et ses hommes qui l’ont tous suivi, tombent un à un dans une suprême lutte à la baïonnette. »
A cinq heures, le régiment n’existe plus. 8 officiers et 441 hommes échappés presque isolément survivent à l’agonie du régiment. Ils combattront encore à Sedan. « Quand au drapeau, le dévouement de sa garde l’empêcha d’être englouti dans cette horrible tourmente » Après des péripéties sans nombre, ce glorieux trophée porté par le sergent Abd el Kader ben Dekkish arrive à Strasbourg le 9 au soir. A la capitulation de la ville, les lieutenants Bontoux et Valès se le partagent et l’emportent en captivité. Le sous-lieutenant Valès parvient à le dérober aux yeux des prussiens et, à son retour en France, rapporte le drapeau qui lui avait été confié. En récompense, il en reçut la moitié de la cravate qu’un de ses descendants rendit en 1948 pour compléter le drapeau qui serait exposé aux Invalides (3).
L’artiste a donc rappelé le geste héroïque de Pierre Auguste Anglade mais aussi le courage légendaire des turcos en représentant le sergent Abd el Kader ben Dekkish qui porte fièrement le drapeau du régiment qu’il contribua à sauver. L’artilleur blessé rappelle peut-être la batterie d’artillerie et celle de mitrailleuses qui se trouvaient en arrière du régiment et furent terriblement maltraitées, selon l’historique du 2ème RTA, par les canons Krupp de l’artillerie prussienne.
Le mobile qui met en joue un adversaire serait un figeacois nommé Delpech. La Garde Nationale Mobile n’a pas participé à la bataille de Woerth. Sa présence se justifie par le fait que le monument a aussi été érigé à la mémoire des 187 enfants de l’arrondissement de Figeac morts pour la Patrie dont la liste figure, par canton et commune, sur les plaques de marbre fixées sur les faces latérales et arrière du socle du monument.
Mais demeure une question qui justifia des courriers au ministère d’un parent de Pierre Auguste Anglade, d’un sénateur lotois et in fine du préfet du Lot quand le projet d’érection du monument se précisa.
Le héros était il lieutenant, comme l’indique l’historique, ou capitaine ?
La réponse se trouve dans le dossier de cet officier où l’on trouve, outre les correspondances précitées, la minute de l’acte de sa nomination au grade de capitaine par décret du 4 août 1870. Cette nomination ne pouvait être connue le 6 août ni du chef de corps ni de l’intéressé. Sans doute ne l’était elle pas non plus du rédacteur de l’historique.
Si Pierre Auguste Anglade est mort avec les galons de lieutenant, il était donc bien Capitaine.
Une légende (4) veut que des brancardiers allemands aient relevé sur les lieux des derniers combats du 2ème RTA le corps d’un capitaine, donné pour Anglade, tenant dans sa main une lettre de sa fille Marguerite.
Ce point est douteux. D’une part aucune trace de cet enfant ne figure dans son dossier, d’autre part Anglade portait le 6 août des galons de lieutenant.
Observons toutefois que la mère du Capitaine Anglade s’appelait aussi Marguerite……
Rappelons enfin, en guise de conclusion, que le Capitaine Anglade a été enterré dans une fosse commune avec ses hommes, à l’endroit même où il mourut. La croix qui fut érigée après la guerre de 1870 porte la mention :
Aux braves Turcos.
Ici repose mon fils
P. Auguste Anglade
Capitaine des Turcos
Mort au champ d’honneur
Le 6 août 1870
A l’âge de 34 ans.
NOTES :
(1) Rédigée par monsieur Lucien Cavalié Pages 21 et 22 et éditée à Figeac (Imprimerie Goutel)
(2) Sculpteur et graveur en médailles de l’école française, né à Toulouse en 1862. Elève de Falguière, il expose aux artistes français depuis 1884. Médaille d’argent à l’exposition de 1900 et à celle de 1937. Sociétaire hors concours. Chevalier de la Légion d’honneur en 1900, officier en 1932. On lui doit notamment les « Arts du théâtre » et les « Arts du dessin » au Grand palais à Paris.
(3) D’après une étude du Colonel Bergue conservée aux archives municipales de Figeac.
(4) Encore rapportée tout récemment dans un article de Philippe Tomasetti dans le n° 34 de la revue du cercle d’histoire et d’archéologie de l’Alsace du nord « L’Outre-Forêt » II-2006. : « Entre légendes, vérités historiques et confusions : les maisons des Turcos, près de Woerth »
Article de Jean-Pierre BAUX, paru dans la Revue Le CASOAR, N° 185, Avril 2007.
Photos : J.-P. Baux