Léon Lafage écrivain, poète occitaniste a brossé dans son oeuvre une fresque de ce Quercy, partie intime de son être. En dépeignant les villes, les routes, les habitants au phrasé si particulier, les coutumes, les récoltes, la vigne…, il s’est montré à la fois géographe, historien, sociologue. Son oeuvre permet aux lecteurs d’aujourd’hui de renouer avec un passé définitivement disparu.
Il naît à Saint-Vincent-Rive-d’Olt, en 1874, au sein d’une famille bourgeoise, fervente occitaniste, cultivée (le grand-père quelque peu helléniste initie ses trois petits-fils à l’oeuvre d’Homère).
Après un passage à l’école du village, Léon Lafage suit les cours au Lycée de Cahors, avec entre autres comme camarades : Pierre Calel (Jules Lafforgue), Gustave Fréjaville…
La quiétude familiale se trouve bouleversée par la ruine du père, obligé d’éteindre les dettes d’un boutiquier indélicat en faveur duquel il a commis l’imprudence de se porter garant, règlement d’autant » plus douloureux que ses vignes sont alors ravagées par le phylloxéra. Reconverti dans le métier de percepteur, le chef de famille prend l’habitude d’effectuer ses déplacements en compagnie de son jeune fils. Quelles merveilleuses occasions pour l’enfant de s’imprégner des usages, des dictons, des locutions des villages !
Le baccalauréat en poche, Léon Lafage écrit déjà dans les journaux locaux. Il est alors Cadurcien, logeant sur les quais, dans un quartier où une foule de métiers artisanaux sont représentés et où règne la langue occitane.
Etudiant parisien, Lafage fréquente moins la Faculté de Droit que la « Taverne du Panthéon » ou le « Café Vachette » (les deux hauts lieux littéraires d’alors). Engagé par le « Réveil du Lot », il ne fréquente plus guère que les théâtres. Encouragé par Gustave Larroumet, c’est l’époque aussi de ses premières compositions.
Dilettante, le jeune auteur se tourne temporairement vers d’autres activités, en particulier l’exploitation à Piolenc, en Vaucluse, d’une colline comportant des coulées de sable à verre, « La Montagne « , que possède sa mère. Les affaires sont mauvaises, il doit renoncer, regagner Paris et trouver un emploi.
C’est chose faite au Ministère de la Justice. Mais son travail le passionne peu, ses horaires s’avèrent plus que fantaisistes, et pourtant quelle source d’inspiration toutes ces plaintes enregistrées ! La plupart s’appuient en effet, avec ténacité, sur la tradition orale, séculaire, qui régit la vie rurale.
La « Revue Hebdomadaire » a édité son premier texte : un conte qui puise son inspiration dans les coutumes ancestrales de la campagne quercynoise ainsi cette invocation au cours d’un pèlerinage :
Pregalz per nautres Sant Perdos,
Que nautres espingarem per vos.
Priez pour notre Saint Perdoux,
Nous danserons pour vous.
D’autres contes et nouvelles trouveront leur place au supplément illustré du « Petit Parisien », et au « Journal » dirigé par Catulle Mendes. Bernard Grasset, alors tout jeune éditeur, publie en 1907, son premier livre : « La chèvre de Pescadoire « . Les deux premiers récits se déroulent dans le Comtat Venaissin, les autres contes, dans le Quercy. Pescadoire, un grand-oncle de Lafage, a donné son nom au recueil. Cet ancien lieutenant aux zouaves pontificaux qui, après « treize duels » et une vie des plus singulières, promenait sa chèvre de par les chemins, « en veste d’alpaga, pantalon clair, gants beurre frais, coiffé d’un panama retroussé à la mousquetaire, un jonc à la main » , était connu de tout Piolenc. « La vie a passé dans ces pages… » commentera la « Revue de Paris ». Daudet, charmé par l’accent de cette première oeuvre, s’empresse d’en faire connaître l’auteur (1).
Le succès de « La chèvre de Pescadoire » pousse Grasset à demander à Lafage de franchir une étape, en écrivant un roman. « Par aventure » se présente en fait plutôt comme une longue nouvelle ayant pour toile de fond Paris et le Vaucluse. Puis paraît un recueil plus achevé : « Bel Ecu de Jean Clochepin », un « livre tout de Querci « . Le premier conte, titre du recueil, narre l’histoire de Jean Clochepin, pauvre gueux, mendiant roulant sa bosse çà et là, bagarreur, rimailleur aussi à l’occasion, ce qui lui permet de plaire aux femmes et d’être maudit par les hommes. Une rixe justement l’entraîne derrière les barreaux. Qu’importe ! l’homme est débrouillard, que meure son geôlier, le voilà qui reprend sa place sans problème, dans la prison, mais aussi dans le lit conjugal !
En août 1914, la guerre retient Léon Lafage à son poste au Ministère, successivement à Cahors puis à Mont-de-Marsan. En 1916, il occupe à Londres le poste de Secrétaire général du Haut-Commissariat de France en Grande-Bretagne. Il détestera Londres, où il restera jusqu’à la fin de la guerre.
Lafage publie en 1921 son second roman : « Les abeilles mortes » histoire des pérégrinations orientales d’un gentilhomme quercynois ; puis son troisième roman « Bottier-Lampaigne » (1926), titre éponyme d’un député dont l’avènement, l’apogée et la chute sont relatés. Avec « La felouque bleue », (1927), l’écrivain renoue avec un langage un peu suranné, aux mots rares, oubliés, chers à son coeur, restituant merveilleusement l’esprit, la naïveté du temps jadis. Le « Fifre et le buis » (1931), réunit quarante contes tour à tour pathétiques ou au contraire divertissants « telles les histoires du coq ivre mort, du lièvre qui subtilise les écus du chasseur » (2), du jeune soupirant de la fille du gardien du cimetière – spectateur assidu de tous les enterrements , « du vieil âne qui porte collées à sa peau les mouches nécessaires au pêcheur de truites… » (3). Après « Le pays de Gambetta » (1933), « La rose de cuir » en 1940, son dernier recueil de contes, passe quasiment inaperçu dans le contexte troublé de l’époque.
Léon Lafage passe la Seconde Guerre mondiale entre Tarbes et Lourdes, charmé par les Pyrénées. Il retourne à Paris en 1948, ne livrant plus qu’une production littéraire de plus en plus rare. Il meurt dans la capitale le 9 mars 1953, et repose dans son village natal.
Il a brossé dans son oeuvre une fresque de ce Quercy, partie intime de son être. En dépeignant les villes, les routes, les habitants au phrasé si particulier, les coutumes, les récoltes, la vigne…, il s’est montré à la fois géographe, historien, sociologue. Son oeuvre permet aux lecteurs d’aujourd’hui de renouer avec un passé définitivement disparu.
Texte extrait de :
La Mémoire vive, par Sophie Villes, Cahors, 1998
(1, 2 et 3) A. MOULIS : Léon Lafage, écrivain du Quercy », Cahors, 1959.
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